Méthodologie du Commentaire littéraire au Bac : Étapes clés

Sommaire


Le commentaire au Bac :

Définition : le commentaire consiste à analyser un texte littéraire en lien avec un des objets d’étude de la classe de Première pour en dégager le sens suivant 2 ou 3 axes, en montrant comment l’écriture et les procédés utilisés servent le message ou la pensée de l’auteur. Il ne s’agit pas de raconter le texte, mais de l’expliquer et l’interpréter en mettant en évidence les liens qui unissent la forme et le sens.
NB : pour les bacs technologiques, les candidats sont guidés dans leur lecture puisque les axes sont donnés.

Comme la dissertation dont il reprend un certain nombre d’exigences, le commentaire consiste à présenter avec ordre et méthode un bilan personnel de lecture. Il y a donc dans tout commentaire une visée argumentative : le but étant de démontrer grâce à des notions spécifiques d’analyse littéraire structurées et organisées en idées principales (les « axes »), ce qui fait l’intérêt d’un texte. Un bon commentaire est d’abord basé sur l’analyse stylistique, c’est-à-dire qu’il doit être « au service de l’interprétation littéraire du texte, en s’attachant de prime abord aux modalités de l’écriture de l’œuvre, c’est-à-dire à la sélection des mots, des phrases, des postures énonciatives et des procédés rhétoriques au sens large, qui permettent aux auteurs de livrer leur vision du monde, de construire leur univers et de les faire partager au lecteur ». [Frédéric Calas, La Stylistique : Méthode et commentaires, Armand Colin « Cursus », Paris 2011. page 7.

Les 5 grandes étapes du commentaire…

1) Lecture et premier contact avec le texte

  • Lisez le texte au moins deux fois.
  • Repérez le genre (poésie, théâtre, roman, littérature d’idées) et essayez de situer le texte (époque, auteur, mouvement littéraire…). 
  • Notez vos premières impressions spontanées (ce qui vous a plu ou déplu, intrigué, quel est le ton, l’atmosphère, comment l’auteur s’y prend-il pour nous toucher, etc.).

Vous devez tout d’abord questionner le texte, c’est-à-dire formuler des hypothèses de lecture aptes à préparer l’interprétation du passage étudié. Un défaut de nombreux candidats tient au fait qu’ils vont trop vite : ils élaborent par exemple un plan dès le début, sans avoir tenu compte du texte ! Le premier travail doit donc correspondre à une véritable stratégie d’approche.

Commencez, si l’auteur ou l’œuvre vous sont connus, par définir leur environnement : un texte n’arrive jamais seul, il est influencé par un « contexte » littéraire, politique, social… La spécificité des mouvements culturels par exemple, la variété des enjeux sociétaux et des modes d’écriture obligent à une analyse fine et méthodique de l’environnement du texte, afin de bien le contextualiser et de formuler des hypothèses de lecture pertinentes : on n’analysera pas de la même façon un passage de La Boétie ou un poème de Rimbaud ! De même, bien qu’appartenant à une période historique contemporaine de la Révolution industrielle, les œuvres de Zola et de Mallarmé sont à problématiser différemment !
Vous devez donc exploiter vos connaissances : si vous devez par exemple rédiger le commentaire d’une œuvre que vous avez étudiée dans son intégralité, votre savoir peut être utile pour mettre en perspective le passage étudié avec d’autres aspects de l’œuvre. Mais attention cependant à utiliser vos connaissances avec discernement et retenue : rien ne serait pire qu’une introduction de commentaire dans laquelle le candidat se fourvoierait dans une espèce d’exposé explicatif sur l’auteur, sa vie, ses écrits, etc.

Checklist rapide : premier contact avec le texte
☐ J’ai noté mes impressions de lecture.
☐ J’ai identifié : auteur, titre, date, genre, mouvement.
☐ J’ai repéré quelques thèmes, la structure du passage, le ou les registres.


 

2) Vers l’étude plus approfondie du passage

  • Cherchez le sens des mots inconnus (ou essayez de le deviner).
  • Identifiez précisément l’organisation du texte : plan, mouvement, progression (changement de paragraphe, changement de strophes, connecteurs logiques…
  • Repérez les procédés : figures de style, choix du lexique, rythme, types de phrases.
  • Observez le point de vue, la situation d’énonciation, les dialogues, la tonalité.
  • Observez les types de phrases (interrogatives, exclamatives…), l’emploi des temps et des modes verbaux…

Vous aurez aussi à vous interroger sur le genre, le type (dominante narrative, ou descriptive, etc.), afin d’utiliser un certain nombre d’outils spécifiques. Prenez l’exemple d’un texte narratif : il est évident que vous devrez mettre en valeur le déroulement chronologique, la position et le rôle des personnages, etc. alors qu’un texte descriptif vous amènera davantage à travailler sur les procédés énonciatifs, la position du narrateur, le point de vue (qui parle ? à qui ? la première personne est-elle dominante ?), les paroles rapportées, etc.
– Intéressez-vous particulièrement aux aspects stylistiques et rhétoriques dominants : l’étude de la tonalité, des registres par exemple est souvent oubliée, bien à tort, car elle permet d’étayer les analyses. Pensez aussi à travailler sur les modalités d’énonciation (déclarative, interrogative, exclamative, injonctive, etc.).
– Pensez à réinvestir vos connaissances sur les registres de langue, les effets de rythme, les modes verbaux (système des temps, etc.).
– Enfin, soyez attentif à la polysémie des mots, ainsi qu’aux connotations, essentielles pour appréhender le sens contextuel d’un terme. De même, l’étude des réseaux connotatifs éclaire en profondeur les valeurs d’un texte, et permet de dégager le ou les grands thèmes, c’est-à-dire les domaines abordés dans les textes. L’inventaire des thèmes du texte aboutit souvent à l’identification de la problématique.

Checklist rapide : repérages et analyse précise du passage
☐ J’ai dégagé les grandes lignes de signification du texte
☐ Je peux résumer l’extrait en 2-3 phrases.
☐ Je sais : Qui parle ? Á qui ? Où ? Quand ? Comment ? (Énonciation).
☐ J’ai relevé : Champs lexicaux ; registres de langue (soutenu, familier) ; temps verbaux ; quelques procédés grammaticaux
☐ J’ai relevé les procédés littéraires.
☐ J’ai interprété leur effet.


3) Recherche de la problématique (projet de lecture)

  • Demandez-vous : « De quoi parle le texte ? » et « Comment en parle-t-il ? »
  • Trouvez la question centrale à laquelle votre analyse répondra. 
  • Problématiser… Pensez toujours à dégager la problématique d’un texte. N’oubliez pas que le but n’est pas de « tout dire » sur un texte (ce qui d’ailleurs serait impossible) mais d’essayer de tout en dire selon un angle d’approche particulier qui va orienter votre travail d’analyse : c‘est la problématisation.

Toutes vos remarques doivent vous conduire progressivement à déchiffrer le sens du texte, c’est-à-dire à en repérer le problème posé (la question centrale). Pour ce faire, définissez d’abord ce qu’on pourrait appeler le critère d’intention de l’auteur : dites-vous toujours « De quoi veut-il parler ? » Travaillez sur les mots et leurs connotations afin de mettre en évidence la signification globale ainsi que les champs et réseaux sémantiques.

Dites-vous aussi : « Si je sais de quoi veut parler l’auteur, Comment en parle-t-il ? » Cela vous aidera à identifier la tonalité ainsi que les registres. Bien souvent, ce travail vous guidera dans la mise en valeur des rapports d’analogie ou d’opposition thématique à l’intérieur du texte : quels sont par exemple les thèmes en présence ? Vont-ils dans le même sens ou s’opposent-ils ?

Enfin, posez-vous la question du Pourquoi qui doit vous amener à expliciter le système de valeurs mis en place par le texte. La manière d’écrire (le « comment ») entre en effet toujours en relation avec l’intention de l’auteur (le « pourquoi »), elle-même liée à l’influence de l’époque : pensez à replacer le texte dans son contexte historique et culturel. Il s’agira donc ici de dépasser la thématique du passage pour l’inscrire dans un domaine plus large, apte à élucider la démarche de l’écrivain.

Checklist rapide : projet de lecture
☐ J’ai une idée de problématique (enjeux du texte).
☐ Je construis une lecture organisée du passage (recherche des axes).


4) Organisation et plan

Ce travail doit déboucher sur une série de « bilans » de lecture. Par exemple, vous allez noter l’opposition de deux thèmes, le travail sur la langue et les sonorités, la spécificité du texte par rapport à un mouvement littéraire, la prise de position développée par l’auteur quant à un problème, etc. Cela vous amènera à construire le plan de votre commentaire. Mettez en ordre toutes ces remarques en allant du moins important (l’organisation du texte, sa structure) au plus important (le traitement thématique dominant, le sens global). Vous pourrez alors organiser ces bilans (les petites déductions et les remarques) en quelques axes (les idées directrices : deux ou trois environ) qui permettront à votre lecteur de comprendre ce qui fait à vos yeux l’originalité du texte. Cela correspond à l’élaboration du PLAN.

  • Regrouper vos idées en 2 ou 3 grands axes rendant compte des intérêts majeurs du texte.
  • Chaque axe doit être ordonné et répondre à la problématique.
  • Évitez un plan qui suit le texte ligne par ligne : regroupez par idées, et non par phrases.

Comme vous le voyez, si vous choisissez au Baccalauréat le commentaire, il est impératif de mettre la spécificité littéraire du texte au cœur de vos préoccupations : un texte littéraire obéit en effet à une démarche d’écriture dont doit rendre compte l’analyse stylistique et sémantique (le travail sur l’écriture et sa relation au sens). Vous n’êtes surtout pas là pour « raconter » le texte, ou « décrire » ce qui s’y passe, mais bien pour l’analyser à l’aide d’outils et de techniques. En poésie particulièrement, le travail sur la phonétique (la langue et les sonorités) est essentiel. Bien souvent, la réflexion sur la forme amène au sens : les reprises anaphoriques, les correspondances sonores sont autant de signes que vous devez interpréter. On pourrait en dire autant de la disposition typographique du texte : les modalités de la distribution des paragraphes, des strophes (ou leur absence !) requièrent votre attention.

5) Rédaction

L’introduction : 

  1. Présentez rapidement le texte (auteur, œuvre, contexte, genre).
  2. Résumez l’extrait (en vous servant du paratexte)
  3. Formulez la problématique.
  4. Annoncez le plan.
  • Tout d’abord, amenez rapidement le texte (genre auquel il appartient et sous-genre éventuellement [genre théâtral, sous-genre : comédie, tragédie, etc.], questionnement littéraire que pose ce genre). La date de parution du texte doit vous permettre de le replacer dans l’histoire des idées et des mouvements culturels, sans vous attarder pour autant sur des considérations trop générales. C’est à partir de là que vous pourrez situer le passage (résumez l’extrait en le situant par rapport à l’œuvre).
  • Ensuite, vous devez problématiser le passage à commenter. « Problématiser » un texte signifie montrer en quoi le texte légitime un questionnement proposé à la réflexion, et rendant nécessaire le commentaire. La problématisation implique donc une mise en perspective critique, un projet de lecture. Conseil : Évitez à tout prix de réduire le projet de lecture à un banal questionnement qui n’amènerait à aucune réflexion, à aucun enjeu.
  • L’annonce du plan. C’est évidemment une étape incontournable puisqu’il s’agit pour le candidat d’annoncer la manière dont il va étudier le texte. À ce titre, je vous recommande de ne pas rentrer dans le détail des analyses. Annoncez synthétiquement les grands axes de votre réflexion.

CONSEIL : L’introduction se pésente en un seul paragraphe. Elle ne  doit pas comporter de longues phrases ET SURTOUT PAS D’EXEMPLES. De même, votre plan doit être un PLAN D’IDÉES et PAS un plan d’exemples. Il a pour but de présenter synthétiquement au lecteur les grandes lignes de votre démonstration.

EXEMPLE TYPE D’INTRODUCTION (très simple)

Le texte que nous allons étudier est un extrait de [titre de l’œuvre], écrit en [date] par [nom de l’auteur], un écrivain [si possible, préciser le siècle et le genre littéraire : poète du XIXe siècle / auteur de théâtre classique, etc.]. Dans ce passage, l’auteur évoque [préciser le thème général] à travers un registre [lyrique, comique, tragique, réaliste…]. Nous pouvons nous demander comment/en quoi… [Problématique]. Nous répondrons à cette question selon deux axes : [Plan]. Nous verrons d’abord [axe 1], puis nous nous intéresserons à [axe 2].

Exemple pratique :
[Entrée en matière] La Renaissance a profondément bouleversé la pensée européenne, redéfinissant la place de l’homme dans le monde, et ses rapports  à la connaissance. [Contextualisation] C’est dans ce contexte qu’Étienne de La Boétie, humaniste et ami de Montaigne, rédige en 1574 le Discours de la servitude volontaire. [Caractérisation du passage] Le passage soumis à notre réflexion invite le lecteur à réfléchir à l’énigme de l’obéissance volontaire : pourquoi accepte-t-on de se soumettre ? Grâce à une argumentation à la fois vive et structurée, l’auteur met en lumière le paradoxe d’hommes nés libres mais acceptant la domination d’un seul. [Problématisation] Nous pouvons alors nous demander comment s’y prend La Boétie pour nous convaincre que la liberté, bien naturel et précieux, ne dépend que de la volonté des peuples. [Plan] Pour répondre à cette problématique, nous analyserons d’abord comment l’auteur dénonce les mécanismes de la servitude ainsi que les méfaits de la tyrannie, avant d’étudier la manière dont il exhorte ses lecteurs à reconquérir et préserver leur liberté.

 

Le développement :

  • Les paragraphes du commentaire doivent être rédigés sur le même modèle que pour la dissertation, la structure doit être déductive. On énonce d’abord l’idée principale du paragraphe. On justifie cette idée par une analyse qui la développe et des exemples tirés du texte qui prouvent sa véracité. On conclut le paragraphe par une déduction.
  • Comme son nom l’indique, le commentaire doit être « organisé », c’est-à-dire structuré selon une logique qui obéit à une visée démonstrative. Une présentation linéaire du commentaire qui ne serait dès lors plus « organisé » est donc à proscrire. Certes, il est tout à fait légitime d’adopter un plan qui suit les mouvements du texte : l’ordre des paragraphes ou le découpage des strophes (comme dans « Le dormeur du val » de Rimbaud par exemple) permet de suivre la progression de la pensée de l’auteur : un bon plan doit donc être fondé sur plusieurs axes allant vers la formulation des intentions de l’auteur, ou des effets produits sur le lecteur.
  • Comme pour la dissertation, vous annoncerez d’abord l’idée principale que vous développerez en quelques lignes, si possible de façon conceptuelle et analytique. Puis vous illustrerez cette idée à l’aide d’exemples, étayés par des citations précises. Bien entendu, vos citations seront exactes, et toujours entre guillemets. Attention aussi à la façon dont vous les intégrerez à votre phrase. Les formules du genre : « je cite par exemple : »… » sont si maladroites qu’elles desservent évidemment les copies. Veillez aussi à faire des citations « intelligentes ». Certains candidats se contentent parfois d’indiquer les premiers mots d’un passage ainsi que les derniers, ce qui ne permet absolument pas d’en comprendre l’intérêt. Il vaut donc mieux, si le passage est long, ne citer que les mots ou expressions porteurs de sens, et mettant en valeur votre analyse.

La conclusion :

  • Bilan clair répondant à la problématique.
    • Résumer brièvement la réponse à la problématique.
    • Reprendre les idées fortes de l’analyse sans répéter mot pour mot l’introduction.
  • Ouverture vers un autre texte ou un enjeu plus large (facultative, mais valorisante si pertinente).
    • Élargir vers un autre texte du même auteur, du même mouvement littéraire ou abordant le même thème.
    • Éviter les ouvertures vagues et sans lien direct avec le texte.

Comme l’introduction, la conclusion se présente sous la forme d’un seul paragraphe. Elle doit être brève et ne pas comporter d’exemple. Elle sera d’autant meilleure qu’elle répondra implicitement à la question : « D’où est-ce que je suis parti, pour parvenir où ? ». C’est la raison pour laquelle je vous conseille de rédiger votre conclusion dès que vous aurez terminé votre introduction, afin de bien mettre en valeur la cohérence de votre parcours démonstratif. Attention à ces conclusions indigentes qui répètent ce qui a déjà été annoncé dans l’introduction. On doit mesurer au contraire en vous lisant ce qui a justifié votre démarche analytique. Centrez vos remarques sur les aspects essentiels de l’analyse en veillant à aller toujours du particulier à l’interprétation textuelle globale.

Il vous sera ainsi possible de formuler un élargissement permettant de situer le texte dans une problématique littéraire plus vaste (réflexion sur l’évolution d’un genre, d’un mouvement culturel, d’un système de valeurs, etc.) ou de le mettre en perspective avec d’autres textes recourant à une expression similaire. Attention cependant aux prétendues « ouvertures », tellement larges et vagues, qu’elles se noient bien souvent dans des considérations dépourvues d’intérêt.

EXEMPLE TYPE DE CONCLUSION

Comme nous avons cherché à le montrer, ce texte illustre [reformulation de la problématique] grâce à [idées fortes/procédés majeurs]. Cette étude met donc en évidence [sens global/ effet sur le lecteur]. On retrouve ce [thème/procédé] dans [autre œuvre ou auteur], qui explore également [élément commun].

Exemple pratique :
[Bilan répondant à la problématique] Ainsi que nous avons essayé de l’expliquer, la liberté pour La Boétie n’est pas un privilège accordé par les puissants mais un droit naturel que chacun peut et doit choisir de défendre. Par la vivacité de la démonstration, la force des images et l’efficacité de son raisonnement, cette exhortation à la vertu met en évidence que la servitude ne perdure que par le consentement des peuples à leur propre soumission. [Ouverture] La portée révolutionnaire de cette réflexion, toujours actuelle, fait écho aux écrits de Rousseau dans Du contrat social, qui interroge pendant les Lumières le fondement du pouvoir politique et la manière dont les hommes doivent préserver leur liberté. Plus près de nous, des écrivains comme Georges Bernanos ou Albert Camus ont fait de l’éthique humaniste la clé d’une réflexion sur le sens et la valeur de la liberté dans les sociétés modernes.


Les erreurs à éviter lors de la rédaction du commentaire

  • Faire de la paraphrase (répéter le texte sans l’analyser).
  • Donner des connaissances hors sujet (vie de l’auteur, contexte trop long).
  • Utiliser des citations sans les analyser.
  • Plan linéaire qui suit le texte.
  • Oublier de répondre à la problématique.

Normalement, si vous avez effectué sérieusement ce travail, vous échapperez sans difficulté à la paraphrase. La paraphrase consiste à répéter plus ou moins le contenu du texte. Exemple de paraphrase de l’extrait suivant (tiré des Confessions de Rousseau) : « Je rougis en pensant aux choses qu’il faut que je dise. » « Rousseau dit qu’il rougit en pensant aux aveux qu’il doit faire ». Une telle « explication », loin d’éclairer le sens du texte, ne fait que l’appauvrir. Elle n’est que redite là où on attend un déchiffrement.

De même, vous ne devez jamais séparer le fond de la forme : vous n’obtiendriez pas la moyenne ! Chaque fois que vous dégagez par exemple une idée, dites comment elle est exprimée, et montrez la relation d’analogie qui existe entre la forme et l’idée. Pareillement, lorsque vous remarquez un procédé stylistique (une métaphore, une hyperbole…), précisez quelle est sa fonction dans l’interprétation du sens. Comme il a été justement dit, « il est important de comprendre que l’analyse est amenée à dévoiler ce qui est fondamentalement lié. […] Chaque élément concourt à la signification de l’ensemble. Il faut mettre en relation les procédés relevés les uns avec les autres pour faire apparaître les enchaînements que le texte unit en profondeur. On ne traitera pas isolément les procédés en ne donnant que leur valeur en langue, mais on veillera à adapter leur analyse à la spécificité de l’extrait ». [Frédéric Calas, La Stylistique : Méthode et commentaires, Armand Colin « Cursus », Paris 2011. page 8. → Google-livres].

Soyez en outre attentif au fait que si vous devez exprimer votre point de vue sur le texte, vous ne devez pas sortir du cadre du texte. Bien entendu, comme je l’ai rappelé, vous pouvez vous servir de votre connaissance du cours, en portant votre attention sur les faits d’intertextualité, c’est-à-dire les relations qu’un texte entretient avec d’autres textes. Mais attention cependant : si les références littéraires sont importantes, il faut absolument éviter une explication qui serait « juxtalinéaire », à côté du texte. Vous devez centrer précisément votre étude sur le texte à commenter.

L’ERREUR MAJEURE À EVITER : LA TENDANCE À LA GÉNÉRALISATION. Vous vous trouvez par exemple devant un texte d’un auteur connu et vous cherchez à réutiliser vos connaissances… Le risque est de tomber dans les généralités en oubliant l’étude minutieuse du texte. Si vous sortez du cadre du texte, c’est-à-dire de « la logique interne de la construction du passage » [F. Calas, op. cit. p. 11], votre analyse est considérée comme hors sujet.

Checklist rapide avant de rendre la copie

Mon introduction comporte obligatoirement : contextualisation + présentation et résumé du passage + problématique + plan.
Chaque idée est illustrée par une citation courte qu’il faut analyser.
J’ai expliqué le lien entre forme et sens.
J’ai évité la paraphrase.
J’ai présenté correctement ma copie (alinéas en début de paragraphes, saut de lignes (en général 2 lignes) après l’introduction, le développement et la conclusion. J’ai sauté 1 ligne entre les axes.
☐ J’ai vérifié la ponctuation, corrigé l’orthographe et la syntaxe.


La notation…
Ce qu’on attend dans un bon commentaire de texte :

  1. Une réflexion claire et organisée
  • une interprétation cohérente du texte (idée principale = « projet de lecture »).
  • Un devoir construit de façon logique
  • Le propos progresse clairement (utilisation des connecteurs logiques)
  1. Une analyse du texte rigoureuse
  • Repérage des procédés d’écriture (figures, temps verbaux, champs lexicaux, etc.).
  • Vous expliquez les procédés d’écriture et quel effet ils produisent.
  • Vous donnez votre point de vue sur l’écriture, mais avec sensibilité et nuance.
  1. Une culture littéraire au service de l’analyse
  • Vous tenez compte du genre (roman, théâtre, poésie…).
  • Vous essayez de situer le texte dans son époque ou mouvement littéraire.
  • Vous cherchez à faire un lien avec un contexte artistique plus large (ex : époque, autres œuvres…).
  1. Une expression écrite soignée
  • français clair et correct.
  • vocabulaire adapté et précis.
  • Relecture minutieuse afin d’éviter le plus possible les fautes d’orthographe.

Ce qui est particulièrement valorisé

  • Les analyses sont fines et variées, vous ne vous contentez pas de relever des procédés sans les expliquer.
  • Le cpmmentaire répond précisément à une problématique.
  • Vous montrez une bonne culture littéraire, qui nourrit votre interprétation.
  • Une expression précise et nuancée.

Ce qui est particulièrement pénalisé

  • pas de vraie idée directrice (vous ne savez pas quoi dire du texte).
  • Vous faites juste une liste de remarques sans liens entre elles (propos décousus)
  • Vous faites des contresens (vous comprenez mal le texte).
  • Vous n’analysez pas les procédés littéraires
  • Vous ne mobilisez aucune culture littéraire pour éclairer le texte.
  • L’expression est confuse, avec beaucoup de fautes ou de phrases trop longues.

Pour aller plus loin…

Analyser un poème

  1. La forme du poème
  • Disposition sur la page : forme visuelle → lien avec le sens ?
  • Forme fixe ? (sonnet, etc.)
  • Rimes : plates (aa bb), embrassées (abba), croisées (abab) ?
  • Mètre : alexandrin ? octosyllabe ? hétérométrique (vers libres) ?
  • Rythme : césures, coupes, enjambements → effet de fluidité ou de surprise ?
  • Mouvement littéraire ? (classicisme, romantisme, surréalisme…)
  1. Le sens du poème
  • Énonciation : Qui parle ? (je, tu, il ?) / À qui ? / Où ? Quand ?
  • Thèmes : amour, nature, ville, temps, engagement ?
  • Registres :
    • Lyrique : émotions, sentiments
    • Élégiaque : mélancolie, deuil
    • Satirique / Burlesque : moquerie
    • Engagé : message, appel à l’action
    • Épique / Didactique : grandeur / transmission / réflexion sur la poésie
  1. La musicalité et le style
  • Échos sonores : quelles rimes ou correspondances sonores sont mises en valeur ?
  • Allitérations / assonances → effet produit ?
  • Harmonie imitative : les sons imitent-ils une sensation ?
  • Vers libres / poème en prose :
    • Rimes internes ?
    • Parallélismes ? Alexandrins cachés ?
  1. Images et jeux de langage
  • Figures de style : métaphore, comparaison, personnification…
  • Ambiance créée : couleurs, sons, sensations ?
  • Polysémie : mots à double sens ?
  • Réflexion sur la poésie ? (comme dans le poème de Rimbaud : « Ma Bohême »

Analyser un extrait de théâtre

  1. Identifier la scène :
  • Où se situe-t-elle dans la pièce ? Exposition ? Conflit central ? Dénouement ?
  • Fonction dramatique ? Fait avancer l’action ? Révèle un personnage ? Quiproquo ? Tension ?
  • Type de texte ? Vers / Prose ? Nombre de personnages ?
  • Forme des répliques ?
    • Monologue → informatif, lyrique, ou délibératif (le personnage s’interroge sur la conduite à tenir) ?
    • Dialogue → conflit ? amour ? débat ?
    • Stichomythie = échanges très rapides.
  1. Situer le genre
  • Tragédie
    • Thèmes : fatalité, passions destructrices
    • Vise : crainte, pitié, compassion
    • Registre : pathétique, tragique
  • Comédie
    • Thèmes : mariage, tromperie, travestissement
    • Personnages-types : valet rusé, vieux barbon, bourgeois naïf
    • Types de comiques :
      • de situation : quiproquos
      • caractère : traits excessifs
      • de gestes : coups, mimiques
      • de mots : jeux de langage

⇒ faire rire, dénoncer les défauts humains à travers le rire

  • Théâtre de l’Absurde : mouvement théâtral apparu après la Seconde Guerre mondiale avec des auteurs comme Ionesco ou Beckett. Il montre un monde dépourvu de sens où les personnages sont prisonniers de situations répétitives ou illogiques.
    • Pas d’intrigue claire : répétitions, vide existentiel…
    • Personnages vides, interchangeables, antihéros…

⇒ pièces d’un style radicalement nouveau, chargé de dérision, de satire, de provocation, et qui apportent au théâtre les ressources d’un langage volontairement subversif, apte à faire ressentir l’angoisse, la solitude et l’absurdité de la condition humaine.

  1. Étudier les personnages
  • Posture / gestes / ton (didascalies)
  • Rôle dans l’action : héros ? opposant ? adjuvant ?
  • Langage → révèle leur caractère, leur statut social, leur vision ?
  • Porte-t-il une idée de l’auteur ? (comme Arlequin dans l’Île des esclaves) : double énonciation
  1. Réfléchir à la mise en scène
  • Gestes / déplacements déduits du dialogue
  • Attitudes et réactions imaginées sur scène
  • Impact sur le public : émotion ? réflexion ? critique sociale ?

Rappels de méthode : l’explication linéaire d’un texte à l’oral du bac de français (8 points)


I. Introduction

  • Contextualisation
  • Présentez rapidement l’œuvre dont est tiré l’extrait ainsi que quelques éléments pertinents sur l’auteur. Rappelez le genre auquel appartient le texte (roman, essai, poésie, théâtre, etc.). Si l’œuvre est marquée par un contexte historique et culturel particulier (comme la Renaissance, le classicisme, les Lumières, le Romantisme, etc.), il est important de le mentionner.  
  • Annoncez le sujet du texte : il s’agit de montrer ce qui fait à vos yeux l’intérêt du passage et qui va justifier votre hypothèse de lecture. Vous pouvez également faire le lien avec le parcours associé : cela peut enrichir votre interprétation du texte.

Lecture expressive du texte : 2 points |conseils|

  • Hypothèse de lecture : déterminez la problématique, c’est-à-dire l’enjeu qui guidera vos analyses. Cette hypothèse doit être une réflexion éclairant le sens global du texte. Cette hypothèse sera validée au fur et à mesure de l’analyse des mouvements.
  • Annonce du plan de votre explication : ce plan doit suivre les différents mouvements qui composent le texte. Veillez à donner un titre à chaque mouvement afin de guider votre réflexion.

II. Développement

Dans vos analyses, insistez bien sur ces 3 points :

  • Que dit l’auteur ? C’est la compréhension du passage (sens littéral).
  • Comment le dit-il ? Afin d’éviter la paraphrase, vous devez étayer votre compréhension du texte par l’analyse des procédés littéraires, stylistiques, grammaticaux et des registres utilisés (pathétique, ironique, polémique, etc.) : relevez les moyens d’expression employés, les figures de style (métaphores, anaphores, antithèses, hyperboles, etc.), intéressez-vous au choix du lexique, aux caractéristiques de la syntaxe, à la manière spécifique d’écrire de tel ou tel écrivain.
  • Pourquoi l’auteur le dit-il de cette manière ? Pourquoi choisit-il de donner cette forme à son propos ? Il s’agit de relier la forme au sens du texte et à son intention, de manière à justifier vos observations. Cela vous amène à interpréter le sens caché derrière les mots (connotations).

Utilisez des citations judicieuses : à chaque fois que vous mentionnez une figure de style, un procédé littéraire, un champ lexical, etc. justifiez obligatoirement vos propos en sélectionnant des passages courts mais significatifs du texte qui illustrent précisément vos propos. C’est souvent mieux que de citer longuement.


III. Conclusion

  • Faites un bref bilan synthétique en montrant comment les différentes parties de votre démonstration valident votre hypothèse de lecture.
  • Ouverture : si possible, proposez un élargissement vers d’autres textes (œuvre intégrale, parcours associé) ou auteurs qui explorent des thèmes similaires, ou une même problématique mais avec une approche différente, etc. 

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* Ministre déléguée auprès de la Première ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances.

Activités d’écriture

CONTRACTION (10 points)
Vous résumerez ce texte en 230 mots. Une tolérance de +/– 10 % est admise : votre travail comptera au moins 205 mots et au plus 255 mots.

  • Vous placerez un repère dans votre travail tous les 50 mots.
  • Vous indiquerez, à la fin de votre contraction, le nombre total de mots utilisés.

1. L’étape préparatoire

L’autrice
  • Isabelle Lonvis-Rome, magistrate, autrice et femme politique française, très engagée dans la lutte contre les stéréotypes de genre. Elle a également coordonné un plan d’action contre les violences conjugales dans le cadre du Grenelle sur les violences conjugales en 2019.
  • Elle a occupé le poste de ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances dans le gouvernement d’Élisabeth Borne, du 20 mai 2022 au 20 juillet 2023. Durant son mandat, elle présente le plan « Toutes et tous égaux – 2023-2027 », axé sur la lutte contre les violences faites aux femmes, la santé des femmes, l’égalité professionnelle et la promotion d’une culture de l’égalité. Elle quitte le gouvernement en juillet 2023. (source : wikipedia)
Thème du discours
  • Le texte porte sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et l’antitsiganisme en France.
  • Il met en avant un plan d’action pour protéger les victimes, éduquer la jeunesse et renforcer l’État de droit face à ces discriminations
Thèse de l’autrice
  • Isabelle Lonvis-Rome soutient l’idée que la République française doit combattre fermement toute forme de discrimination et de haine, car elles menacent le vivre-ensemble et les valeurs républicaines. L’universalisme républicain, fondé sur l’égalité et la dignité de chacun, est présenté comme un rempart contre ces dérives.
Étude de l’énonciation
  •  L’usage de la première personne (« je ») joue un rôle clé dans la portée persuasive du discours. Isabelle Lonvis-Rome utilise plusieurs fois le « je » pour affirmer son engagement personnel : « J’y veillerai », « Je resterai à l’appui des autorités locales […] et [je] sillonnerai le pays », « Je l’ai dit », « Lorsque je pense à cet ennemi commun que nous avons », « Je vous remercie ». Il s’agit ici d’un engagement personnel et politique : l’oratrice ne se contente pas d’exposer des principes généraux, elle affirme sa responsabilité et sa vigilance quant à la mise en œuvre des mesures annoncées.
  • L’emploi du « nous » est également important. Il y a d’abord le « nous » institutionnel (« nous réaffirmons », « nous devons renforcer la confiance des citoyens ») : il englobe l’autrice, les institutions et l’État, affirmant un engagement collectif des autorités. Il y a également le « nous » inclusif, moral et universel. Il inscrit le combat contre la haine dans un projet républicain partagé (« nous avons une destinée commune », « nous gagnerons cette bataille »). Le « nous » inclut donc  la République, les citoyens et les victimes. Il permet ainsi de faire de la lutte contre le racisme une cause collective et non une simple action gouvernementale.
  • L’adresse au destinataire : l’énonciation se caractérise aussi par un usage du « vous », qui sert à interpeller directement le public : « Ce plan, vous venez de le découvrir », « Parmi les mesures ambitieuses qui vous ont été présentées », « Je vous remercie ». L’interpellation vise à responsabiliser l’auditoire et à créer une adhésion aux mesures proposées.
  • On trouve enfin des formulations plus généralisantes, parfois proches de la maxime : « pour que personne ne perde foi en la République », « Faire Nation, c’est prôner l’universalisme », « La Justice est une réponse clé au racisme », etc. Ces phrases posent des principes généraux et cherchent à donner une dimension solennelle au propos.
Structuration du texte 

1. Introduction : un constat alarmant. L’oratrice montre d’abord l’ampleur du problème (chiffre frappant pour capter l’attention : « un million deux cent mille victimes ») et les conséquences graves : exclusion, violence, départs forcés.

2. Annonce d’un plan d’action pour protéger les victimes et sanctionner les coupables.

  • Affirmation des fondements philosophiques et républicains
    • Définition de l’universalisme républicain et son opposition à une vision uniformisante (distinction entre un universalisme humaniste et un universalisme dévoyé).
    • Insistance sur l’État de droit comme pilier de la lutte contre la haine.
  • Mesures concrètes pour l’éducation et la justice 
    • Importance de l’éducation pour lutter contre la haine et les préjugés et en particulier de la transmission mémorielle (visites de lieux de mémoire pour sensibiliser les jeunes).
    • Rejet de la banalisation de la haine, notamment dans les médias et sur Internet.
    • Renforcement des institutions judiciaires (amélioration de la prise de plainte, renforcement des moyens des forces de l’ordre et exécution des peines, lutte contre le sentiment d’impunité des auteurs de crimes racistes).

3. Conclusion : nécessité d’un combat politique et moral. Réaffirmation des valeurs républicaines et d’universalité, appel à l’engagement collectif contre le racisme.

Registres et style

Ton engagé et solennel : utilisation de formules marquantes pour insister sur l’urgence du problème.

  • Répétitions et anaphores : « Un million deux cent mille », « Faire Nation », « l’universalisme » pour marquer les esprits.
  • Références littéraires et philosophiques : Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, Victor Hugo, Simone Veil, Charles Péguy, Tahar Ben Jelloun pour légitimer le propos.
  • Alternance entre considérations théoriques (idéal républicain) et faits concrets (mesures pratiques).

2. Corrigé de la contraction

RAPPELS de méthode :
  • Vous devez vous mettre à la place de l’auteur en conservant les marques d’énonciation du texte. Surtout n’écrivez pas « l’auteur dit que » : c’est une maladresse lourdement sanctionnée. 
  • Votre contraction doit comporter les idées essentielles du texte et respecter les étapes de la démonstration de l’auteurN’ajoutez aucune idée personnelle : la nécessité de l’objectivité est impérative.
  • Votre contraction doit être concise : la  reprise des formulations du texte, sauf si elle se justifie (mots clés dont la suppression empêcherait la compréhension du message), contrevient aux principes de l’exercice. L’effort de reformulation est donc indispensable.
Contraction de texte :

1,2 million de personnes subissent chaque année en France des insultes, discriminations, actes racistes ou antisémites sans oser porter plainte. Ces injustices isolent, marginalisent et contraignent certaines victimes à déménager ou à douter de leur place dans le pays. Ce plan vise à répondre à cette réalité et s’adresse [50 mots] à toutes les victimes et, plus largement, à l’ensemble de la société.

Ici, sur le sol de la République, chacun doit jouir des mêmes droits, quelles que soient son origine, sa culture, sa religion ou sa couleur de peau. Faire Nation, c’est défendre cet universalisme républicain : un universalisme [50 mots] humaniste qui protège la dignité de tous, l’égalité et l’État de droit.

Pour promouvoir cet objectif, le plan que nous proposons doit mettre l’accent sur l’éducation et la transmission mémorielle pour former des citoyens responsables. Mais ce plan est aussi un avertissement à ceux qui distillent [50 mots] la haine dans les médias, sur Internet ou en politique : ces actes barbares sont incompatibles avec les valeurs républicaines que nous partageons et n’ont pas leur place dans le débat public.Voici pourquoi la justice doit être un rempart contre la haine. Nous renforcerons la prise de plainte, sanctionnerons [50 mots] sans faiblesse et mettrons fin à tout sentiment d’impunité.

Enfin, j’insiste sur la nécessité de rester fidèle aux valeurs républicaines et à notre idéal de fraternité, qui rejette l’égoïsme et l’exclusion. [35 mots]

Nombre de mots utilisés : 235.

3. Corrigé de l’essai

  • SUJET (10 points)
    Dans son discours, Isabelle Lonvis-Rome affirme : « L’Histoire alerte trop souvent le présent ». Selon vous, en quoi les leçons du passé concernant les luttes pour l’égalité aident-elles à construire notre présent ? Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre du parcours « Ecrire et combattre pour l’égalité ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

Comprendre les enjeux du sujet : Le sujet invite à réfléchir au rôle de l’histoire et de la mémoire dans la construction des sociétés contemporaines. Il s’agit de montrer comment les combats passés pour l’égalité (droits civiques, féminisme, lutte contre les discriminations…) permettent aujourd’hui d’améliorer les lois, les mentalités et les institutions.

Problématique possible : En quoi la connaissance des luttes passées pour l’égalité permet-elle d’inspirer et d’influencer nos sociétés contemporaines ?

Les événements passés ont souvent une résonance sur le monde contemporain. Cette résonance de l’Histoire peut être perçue comme une forme d’avertissement : c’est ainsi qu’Isabelle Lonvis-Rome dans son allocution du 30 janvier 2023 présentant le Plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine affirme : « L’Histoire alerte trop souvent le présent ». Ces propos nous invitent à nous interroger : en quoi les leçons du passé en matière de lutte pour l’égalité aident-elles à construire notre présent ? Nous traiterons cette problématique selon une triple perspective : après avoir montré dans une première partie comment les leçons du passé fournissent des repères précieux en matière de lutte pour l’égalité, nous verrons ensuite comment en tirant parti de l’Histoire, nous pouvons mieux appréhender les défis actuels. Enfin, nous nous interrogerons de façon plus critique : les combats passés peuvent-ils toujours aider à construire un présent et un avenir plus inclusifs ?


En premier lieu, nous devons nous rappeler combien les combats du passé constituent le fondement des droits actuels. Les luttes pour l’égalité dans l’Histoire ont permis d’établir des principes universels toujours pertinents aujourd’hui. C’est à dessein qu’Isabelle Lonvis-Rome rappelle dans son allocution l’importance de l’humanisme : « Il faut défendre un universalisme républicain et humaniste ». De fait, les valeurs humanistes reposent sur l’idée fondamentale que chaque individu mérite d’être respecté dans sa dignité et sa liberté. Par exemple, Étienne de La Boétie, dans son Discours de la servitude volontaire (1576), pose une réflexion essentielle : les inégalités et les oppressions perdurent parce que les peuples les acceptent passivement. En analysant la manière dont les dominés participent à leur propre soumission, il invite à une prise de conscience qui, encore aujourd’hui, inspire les combats pour la liberté et l’émancipation des individus. Sa critique de la tyrannie et de l’acceptation passive des injustices est un rappel que la justice ne s’impose pas d’elle-même, mais doit être défendue activement par l’éducation et la raison, mais aussi par la tolérance et la fraternité, principes essentiels du vivre ensemble : « il ne peut venir à l’esprit de personne que la nature en ait mis certains en servitude, puisqu’elle nous a tous faits membres d’une compagnie ». Ainsi, beaucoup de gens de nos jours se réclament, parfois sans le savoir, de valeurs largement inspirées des principes humanistes définis au XVIème siècle.

Les combats passés ont en outre permis d’obtenir des avancées en matière de droits qui servent encore aujourd’hui de référence et de socle pour nos sociétés contemporaines. Ainsi la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 a établi des principes de liberté et d’égalité devant la loi, dont se sont largement inspirées les démocraties modernes. C’est au nom de ces valeurs qu’Olympe de Gouges a fondé son engagement pour une société plus équitable. Dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791), elle revendique pour les femmes les mêmes droits que ceux accordés aux hommes : nous pourrions mentionner par exemple l’article 1 de la Déclaration : « La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits ». Si cet article reprend presque mot pour mot l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il y intègre explicitement les femmes. En reprenant la formulation de la déclaration de 1789, Olympe de Gouges met en évidence les insuffisances d’un texte qui prône l’égalité tout en excluant la moitié de l’humanité. Bien que largement ignorées à son époque, ces revendications d’égalité ont donc largement nourri les combats pour l’égalité des siècles suivants : notamment le droit de vote des femmes, obtenu en France en 1944, la loi sur l’égalité professionnelle homme-femme (1983), l’accès des femmes aux fonctions politiques, avec l’instauration en 2000 de la parité en politique ou les lois sur la contraception et l’avortement (loi Veil de 1975). Aujourd’hui, l’idée selon laquelle femmes et hommes doivent être égaux en droits est devenue un principe fondamental des sociétés démocratiques.


Par ailleurs, de nombreux idéaux des siècles passés tels que l’égalité, la liberté et la fraternité, s’ils constituent un modèle pour mieux penser notre modernité, n’en sont pas moins un avertissement dont il nous faut tenir compte : la connaissance des œuvres passées aide en effet à mieux comprendre les combats actuels. Stéphane Hessel dans son essai intitulé Indignez-vous ! (2010) affirme : « dans ce monde, il y a des choses insupportables. Pour le voir, il faut bien regarder, chercher. Je dis aux jeunes : cherchez un peu, vous allez trouver. La pire des attitudes est l’indifférence, dire « je n’y peux rien, je me débrouille ». En vous comportant ainsi, vous perdez l’une des composantes essentielles qui font l’humain. Une des composantes indispensables : la faculté d’indignation et l’engagement qui en est la conséquence ». Cette faculté d’indignation dont parle Stéphane Hessel rappelle que la construction d’une société égalitaire exige une vigilance constante face aux injustices de notre monde.L’Histoire en effet enseigne à reconnaître les dangers du passé pour mieux lutter contre les dérives du présent. A ce titre, Isabelle Lonvis-Rome insiste sur l’importance de l’éducation pour lutter contre la haine et les préjugés ; en particulier sur le rôle de la transmission mémorielle : se souvenir est en effet une condition nécessaire de la connaissance historique et du jugement mémoriel : comme exigence éthique et identitaire, la célébration des événements historiques fondateurs d’une nation invite toujours à se pencher sur la mémoire collective : sans mémoire, point de conscience ni d’obligation morale.

Ainsi, le devoir de mémoire se présente à la conscience collective sous la forme d’un impératif moral qui dépasse l’individu puisqu’il s’adresse à tous. Oublier le devoir de mémoire, c’est effacer de notre conscience l’héritage de l’histoire, transmis de génération en génération ; c’est enfouir au fond de soi-même la conscience historique, et conséquemment refuser les rapports d’obligation et de solidarité qui constituent le corps social. La connaissance des événements tragiques, tels que l’esclavage, est donc essentielle pour éviter la répétition des horreurs du passé. Condorcet en particulier dans ses Réflexions sur l’esclavage des Nègres (1781) affirme : « Réduire un homme à l’esclavage, l’acheter, le vendre, le retenir dans la servitude, ce sont de véritables crimes ». L’auteur, par le biais de l’argumentation directe, nous touche et nous implique. Dans le même ordre d’idées, Olympe de Gouges a composé en 1784 une pièce de théâtre, Zamore et Mirza ou L’Heureux Naufrage, dont le propos est de dénoncer l’esclavage des Noirs. Nous pourrions aussi citer ces propos sans équivoque extraits des Réflexions sur les hommes nègres où l’on peut lire : « L’homme partout est égal. Les rois justes ne veulent point d’esclaves […] ». Ainsi, l’apprentissage historique forme des citoyens conscients, capables de résister à la montée des discours haineux ou des idéologies extrémistes. À l’heure de la mondialisation, du mélange des cultures mais aussi des replis identitaires, nous nous rendons compte combien l’humanité a besoin d’une histoire qui renvoie à une mémoire partagée, c’est-à-dire à une conscience identitaire collective, fruit d’un long travail de résilience : c’est cette conscience du temps qui donne sens à notre présent. 


Comme nous le comprenons, les combats passés ne peuvent aider à construire un présent et un avenir plus inclusifs qu’à la condition de garder une grande conscience critique. Au début de son discours, Isabelle Lonvis-Rome martèle à trois reprises une expression qui résonne comme un constat d’échec : « Un million deux cent mille à subir des insultes, des discriminations, des actes racistes ou antisémites […] Un million deux cent mille, c’est la population du Val d’Oise. Un million deux cent mille, ce sont autant de femmes, d’hommes et d’enfants qui sont marginalisés, exclus […] ». S’il est indéniable que les combats passés ont servi de références pour bâtir des sociétés démocratiques et plus égalitaires, il faut cependant s’interroger : l’histoire nous montre aussi que les injustices persistent sous de nouvelles formes, ce qui révèle une insuffisance des leçons du passé. L’exemple d’Olympe de Gouges est éclairant : il faudra attendre 1981 pour que la première étude complète et détaillée de sa vie et de ses œuvres soit réalisée par l’historien Olivier Blanc. Et c’est seulement en 1986 que Benoîte Groult publiera pour la première fois l’intégralité de la Déclaration. De même, si les textes garantissant l’égalité existent, leur application reste incomplète. Les discriminations raciales, les inégalités économiques et les violences sexistes démontrent que l’égalité proclamée n’est pas toujours une égalité réelle. Étienne de La Boétie, dans son Discours de la servitude volontaire que nous mentionnions précédemment, soulignait la tendance des sociétés à accepter des formes d’oppression, même quand elles semblent révolues. Aujourd’hui, le racisme, la précarité et les atteintes aux libertés montrent que les discriminations persistent sous des visages différents.

Ainsi, nous devons nous questionner : avons-nous vraiment appris de nos erreurs, ou reproduisons-nous des schémas d’inégalités sous d’autres formes ? Certes, les victoires historiques, telles que l’abolition de l’esclavage, la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) ou la lutte contre les violences sexuelles grâce au mouvement #MeToo (2017) montrent que des avancées collectives ont été possibles. Mais à quel prix ? Combien de temps, combien de sacrifices ont été nécessaires pour remporter ces batailles ? Dans un monde où le passé n’apparaît plus bien souvent comme une source d’avenir, où la mémoire collective est de moins en moins agissante dans la société, faire que l’on se souvienne d’un lieu, d’un geste, d’une parole, d’un cri, est aussi une manière d’appréhender l’histoire à travers la mémoire de ceux qui ne sont plus, tant il est vrai que l’Histoire est d’abord une prise de conscience, révélatrice d’une nécessité de l’engagement politique : se souvenir d’Olympe de Gouges, de Martin Luther King ou de Nelson Mandela, c’est d’abord se rappeler que leur vision d’un monde meilleur les a poussés à endosser des risques personnels considérables, voire à sacrifier leur vie. L’exemple de ces trois personnalités incite à une réflexion profonde sur la conscience mémorielle, c’est-à-dire sur la manière dont les sociétés se souviennent et intègrent dans leur identité collective les luttes passées. Le souvenir du passé en effet ne doit pas être figé mais agir comme une force vivante et dynamique, permettant ainsi de nourrir une conscience collective vigilante. Si le passé a permis des avancées, il ne suffit pas à garantir un progrès définitif et doit donc être sans cesse réinterrogé. La véritable leçon à tirer est que les acquis ne sont jamais définitifs et que le combat pour la justice et l’égalité est un processus en perpétuelle construction.


Comme nous avons tenté de l’exposer dans cet essai, les leçons du passé aident à construire notre présent en nous rappelant la fragilité des acquis et la nécessité d’une vigilance constante. Des textes comme la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ou les idéaux portés par l’humanisme ou les Lumières montrent combien la lutte pour l’égalité et la dignité humaine est un travail collectif et permanent. Apprendre de l’Histoire, c’est non seulement honorer les combats d’hier, mais aussi ouvrir la voie à une société plus juste et solidaire pour demain. En particulier, nous pourrions nous interroger sur la manière d’adapter les leçons du passé en matière d’égalité aux défis de l’ère postmoderne : les robots humanoïdes, les humains-machines, l’intelligence artificielle ou les nouvelles formes d’exclusion nous amènent ainsi à questionner fondamentalement nos valeurs éthiques et citoyennes.

Réussir l’épreuve de Culture générale : Guide complet

Texte de référence : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047915248

La nouvelle épreuve écrite de Culture générale et Expression comporte 2 parties d’égale importance, chacune valant 10 points, ce qui impose au candidat de maîtriser 2 compétences complémentaires :

  1. l’analyse de documents
  2. la rédaction d’un essai argumenté.

CONSEILS Une préparation équilibrée est requise. Négliger l’un des deux volets pénalisera la note finale, d’où l’importance de développer à la fois une capacité d’analyse documentaire et une aptitude à construire un argumentaire écrit cohérent.

1. Première partie de l’épreuve : analyse et interprétation du corpus (10 points)

Le candidat répond de manière argumentée à des questions qui l’invitent à confronter les documents et à les interpréter. Les questions (entre 2 et 4) portent sur un corpus comportant 2 à 3 documents de nature différente (textes littéraires, textes non littéraires, documents iconographiques, tableaux statistiques, etc.) choisis en référence au thème inscrit au programme de la deuxième année de STS. Chacun d’eux est daté et situé dans son contexte.

Les IO précisent que « Le candidat répond de manière nuancée et argumentée à des questions confrontant les documents et invitant à les interpréter ». Cette consigne vise à évaluer plusieurs compétences clés dans le cadre de l’analyse de documents :

  • « Répond de manière nuancée » : vous devez éviter les réponses trop tranchées ou trop simplistes : ne répondez pas en quelques mots ou en citant directement le texte. Au contraire, il doit y avoir en effet une exigence d’objectivité et de subtilité dans votre analyse.
  • « Répond de manière argumentée » : vous devez appuyer vos propos sur des éléments concrets issus du corpus. Chaque affirmation doit être justifiée par des références précises aux documents. Pour étayer votre démonstration, il vous faut reformuler ou citer brièvement des passages significatifs, en les reliant aux connaissances acquises en cours de formation afin de mettre en perspective le contenu du corpus.
  • « Entre deux et quatre questions » : l’épreuve présente plusieurs questions destinées à orienter l’analyse. Vous devez répondre à chacune de ces questions, en veillant à ne pas vous contenter d’une simple description. Structurez votre réponse afin de permettre au correcteur de suivre la progression de votre analyse.
  • « Confrontant les documents » : cette consigne est essentielle. Il y a obligatoirement mise en relation et confrontation: Il ne s’agit pas d’analyser les documents de manière isolée, mais de les mettre en relation : vous devez par exemple identifier et analyser les différents aspects des documents en vue d’inscrire les point de vue exposés dans un débat. Vous devez donc identifier les points communs et les divergences en privilégiant une lecture croisée du corpus. Cette confrontation implique également une réflexion sur l’angle d’approche ou les intentions des auteurs, permettant ainsi d’ouvrir le débat sur la portée et les limites de chaque document.
  • « Invitant à les interpréter » : vous devez toujours passer de la description à l’interprétation. Cela implique de questionner les enjeux, les contextes historiques ou culturels, et de dégager une problématique sous-jacente. L’interprétation doit permettre de comprendre en quoi les documents, pris ensemble, offrent une vision particulière d’un phénomène ou d’un sujet donné. 

MÉTHODE La qualité de votre démonstration est essentielle. Après avoir présenté de manière concise le document (genre, auteur, date, contexte), vous devez ensuite rappeler la question posée et y répondre de façon « problématisée » en développant un argumentaire et en étayant votre démonstration par des exemples pertinents. 

2. Deuxième partie : l’essai argumenté (10 points)

Deux sujets sont proposés. Ces sujets sont en rapport avec le thème inscrit au programme de la deuxième année de STS et visent à vérifier la capacité du candidat à s’approprier personnellement une culture acquise en cours de formation. Le candidat choisit l’un des deux sujets et le traite de manière argumentée et nuancée, en s’appuyant notamment :

  • sur les lectures et les contenus d’enseignement suggérés par les Instructions officielles (« Thème concernant l’enseignement de culture générale et expression en deuxième année de BTS » (pour la session 2025, vous pouvez regarder cette page).
  • sur le corpus proposé ;
  • sur ses connaissances et sa culture personnelles.

COMPRENDRE LES CONSIGNES

  • « Un traitement argumenté et nuancé » : attention à ne pas vous contenter d’exposer des idées ou des faits ! Il vous faut au contraire fonder votre analyse sur des arguments développés et étayés par des exemples et des références culturelles pertinentes.
  • Il vous faut également adopter une approche équilibrée et réfléchie prenant en compte la pluralité des perspectives et les éventuelles complexités du sujet : la capacité du candidat à varier les points de vue afin d’ouvrir des perspectives, ou de nuancer des prises de position sont autant de qualités valorisées lors de la notation.

L’organisation du travail le jour J

Le temps imparti pour les deux exercices est assez court : ainsi, sur une épreuve de 3h00, vous devrez consacrer environ 1h30 aux questions d’interprétation. L’analyse des documents se doit donc d’être brève mais efficace.

CONSEIL Lisez d’abord toutes les questions ainsi que les 2 sujets d’essai afin de cerner le thème et d’envisager la problématique du corpus. Dans le même temps où vous répondrez aux questions, vous devrez réfléchir aux enjeux des sujets d’essai : par exemple, en essayant de mettre en place quelques pistes d’argumentation, de sélectionner quelques exemples, etc.

Avant de commencer : lecture rapide + repérage global (5 à 10 minutes) :

  • Prenez tout d’abord quelques minutes pour parcourir le corpus de documents et prendre connaissance des consignes dans chaque partie. Cela vous permettra :
  • d’identifier la nature des documents et les questions posées.
  • de comprendre rapidement le thème général.
  • de prendre connaissance des deux sujets d’essai proposés.

CONSEIL  Avant de commencer une lecture attentive, parcourez rapidement les documents en repérant les titres, sous-titres, paragraphes, etc.. Cette première lecture vous donne une idée globale du contenu et de la structure, facilitant ainsi la compréhension lors de la lecture rapide.

La lecture rapide

  • Lisez vite : essayez de vous concentrer sur la compréhension visuelle plutôt que sur la répétition silencieuse des mots : le fait de prononcer mentalement chaque mot ralentit la vitesse de lecture.
  • N’hésitez pas à utiliser votre doigt ou un stylo comme repère : faites glisser votre doigt ou un stylo sous les lignes de texte afin de guider votre regard. Cela aide à maintenir le rythme de la lecture et à éviter les retours en arrière inutiles.
  • Lisez par groupes de mots (et non mot à mot) afin de regrouper les informations : entraînez-vous à élargir votre champ de vision pour lire plusieurs mots ou même des expressions entières en une seule fixation oculaire. Cette technique permet de réduire le nombre de pauses et d’accélérer le rythme de lecture.

Première partie de l’épreuve : répondre aux questions sur le corpus (environ 1h30)

  • Analyse des documents : Lisez rapidement chacun des documents concernés pour repérer les éléments essentiels (contexte, arguments, exemples, etc.). Notez, même brièvement, quelques idées ou éléments clés qui vous semblent utiles (pour répondre aux questions mais aussi pour préparer l’essai).
  • Réponses argumentées et nuancées : rédigez des réponses structurées (introduction courte, développement en plusieurs phrases argumentées et déduction.
  • Pensez à comparer ou confronter les documents lorsque cela est demandé.
  • Prise de notes pour l’essai : pendant que vous travaillez sur les questions, n’hésitez pas à noter les idées, arguments et exemples qui peuvent vous servir dans l’essai. Ces repères vous seront utiles lors du choix du sujet et de la rédaction.

Deuxième partie de l’épreuve : rédiger un essai (environ 1h30)

Relecture des 2 sujets d’essai et validation définitive : 5 minutes.

  • Dès la fin de la première partie, relisez soigneusement les deux sujets d’essai. Choisissez celui avec lequel vous vous sentez le plus à l’aise et pour lequel vous disposez déjà d’idées ou d’arguments grâce aux notes prises pendant la première partie.

Élaboration rapide d’un plan : 15 à 20 minutes

  • Prenez quelques minutes pour esquisser le plan de votre essai.
  • Divisez votre argumentation en 2 parties (si votre plan est dialectique) ou en 3 à 4 paragraphes s’il s’agit plutôt d’un plan thématique. Notez les arguments principaux, exemples et références : n’oubliez pas de vous appuyer sur le corpus proposé et de faire appel à votre culture générale (lectures de l’année, richesse de la pensée exprimée).

Rédaction de l’essai (environ 55 à 60 minutes) :

INTRODUCTION Elle doit comporter :

  • une phrase d’accroche (par exemple, introduire le thème de l’essai ou faire le lien avec le corpus) ;
  • la citation précise du sujet et sa reformulation problématisée sous forme d’interrogation ;
  • l’annonce des grands mouvements de votre réflexion (plan).

DÉVELOPPEMENT Rédigez votre essai en suivant le plan établi. Assurez-vous que :

  • Votre texte est structuré et fluide de lecture.
  • Vos arguments sont clairement développés et illustrés par des exemples ou références.
  • Votre propos est nuancé (évitez les prises de position trop tranchées, particulièrement dans un examen à finalité professionnelle).

CONCLUSION N’oubliez pas de faire une conclusion :

  • répondant à la problématique ;
  • et synthétisant de manière très brève votre parcours démonstratif. Il ne s’agit pas de rappeler dans ce bilan les étapes du raisonnement, ce qui vous amènerait à d’inévitables redites, mais les résultats auxquels vous êtes parvenu au terme de votre démonstration. 

Relecture et corrections (10 minutes) :
Relisez rapidement votre essai pour corriger d’éventuelles erreurs d’orthographe ou de syntaxe.

CONSEILS

  • Soyez attentif à la gestion du temps : il est essentiel de respecter le timing pour chaque partie afin de ne pas vous retrouver à court de temps lors de la rédaction de l’essai.
  • Soyez à la fois synthétique et pertinent : dans vos réponses aux questions sur le corpus et dans votre essai, privilégiez une rédaction claire, concise et argumentée. Évitez à tout prix les digressions inutiles.
  • Mobilisez à bon escient vos connaissances personnelles : pour l’essai, pensez à intégrer obligatoirement des éléments issus de vos lectures, des enseignements en cours de formation et vos réflexions personnelles, afin d’enrichir votre argumentation.

© Bruno Rigolt, février 2025

10 citations clés de la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » à exploiter pour la dissertation et l’essai au Bac de français

10 citations clés de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne à exploiter pour la dissertation et l’essai au Bac :

Si vous travaillez sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, voici 10 citations clés expliquées et commentées. Elles vous aideront à enrichir vos démonstration (dissertation sur programme). Si vous êtes en Première technologique, ces citations vous aideront également à étayer vos raisonnements dans l’essai argumentatif.

  • Pourquoi apprendre et utiliser des citations ? Une citation bien choisie vient renforcer un argument en s’appuyant sur l’oeuvre au programme. Cela montre au correcteur votre connaissance de l’oeuvre et donne plus d’intérêt à votre raisonnement.
  • Comment bien utiliser une citation ? Pour être pertinente, la citation doit être en lien direct avec l’argument développé et ne doit pas être placée au hasard. Pensez également à l’introduire correctement : vous pouvez l’amener par une phrase  comme : Selon…, D’après…, À ce sujet, Olympe de Gouges affirme que «…» ; Comme le dit si bien OdG, «…»).
  • Conseil : une citation ne doit pas être placée sans commentaire. Il faut toujours l’expliquer et montrer comment elle illustre votre propre raisonnement.

I) « Préambule » de la Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne :

« Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? ». DDFC, Préambule

  • Dans ce passage, Olympe de Gouges dénonce l’injustice de la domination masculine en soulignant son absence de fondement légitime. Elle apostrophe violemment les hommes en posant plusieurs questions rhétoriques mettant en cause les fondements du pouvoir masculin, et suggérant qu’il repose sur la force physique ou les préjugés, plutôt que sur une véritable légitimité morale ou intellectuelle : « Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? ». Olympe de Gouges emploie le champ lexical de la tyrannie pour renforcer cette idée avec les mots : « souverain », « empire » et « opprimer ».
  • L’autrice remet ainsi en cause l’équité des hommes en matière de droits et d’égalité, en soulignant que la question vient d’une femme, ce qui souligne son droit à la parole. En mettant en avant l’injustice de cette oppression , elle invite à une réflexion sur les droits des femmes et leur accès à la justice et à la citoyenneté
  • Dans ce passage, l’emprise de l’homme sur la femme est assimilée aux formes les plus contestables du pouvoir, que la Révolution prétendait pourtant abattre. Le registre employé est le registre polémique et satirique. L’homme est ici violemment attaqué et ridiculisé : interpellation directe, ton accusateur, questions rhétoriques forçant l’interlocuteur à se justifier.  

« Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il [l’homme] veut commander en despote » […]. DDFC, Préambule

  • Dans cet extrait du Préambule, Olympe de Gouges critique violemment l’attitude des hommes face à la domination qu’ils exercent sur les femmes. D’emblée, l’autrice souligne l’incohérence entre l’époque des Lumières, censée être marquée par le progrès et la raison (« ce siècle de lumières et de sagacité »), et l’ignorance persistante des hommes quant à l’égalité des sexes. Elle brosse un portrait dévalorisant de l’arrogance intellectuelle des hommes à travers une accumulation de qualificatifs péjoratifs (bizarre, aveugle, boursouflé),
  • L’image du despote souligne l’injustice et l’abus de pouvoir, mettant en parallèle la domination des hommes sur les femmes avec les tyrannies politiques combattues par les Lumières. L’extrait met donc en évidence l’hypocrisie des Révolutionnaires qui prônent la raison et la liberté, tout en maintenant les femmes dans la soumission
  • Le registre dominant est le registre polémique, renforcé par une tonalité satirique : le portrait caricatural de l’homme (boursouflé de sciences et dégénéré) le ridiculise, soulignant son incohérence et son ignorance malgré son savoir apparent. La tonalité satirique dénonce avec force l’obscurantisme des hommes dans un siècle qui se prétend « éclairé ».

« Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées en Assemblée nationale ». DDFC, Préambule

  • Dans cet extrait du Préambule, Olympe de Gouges revendique explicitement la participation des femmes à la vie politique. En reprenant le vocabulaire institutionnel de la Révolution française, l’autrice réclame pour les femmes les mêmes droits de représentation que les hommes. L’énumération « Les mères, les filles, les sœurs » souligne que les femmes, en tant que citoyennes et membres de la société, doivent bénéficier des mêmes droits politiques que les hommes. Le parallèle avec la Révolution est explicite2: En les désignant comme représentantes de la nation, Olympe de Gouges insiste sur l’appropriation par les femmes d’un rôle jusqu’alors réservé aux hommes, contestant ainsi leur exclusion du pouvoir.
  • Ce passage s’inscrit dans une logique d’émancipation féminine et constitue une critique implicite de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), qui n’accordait aucun droit politique aux femmes. Il permet en outre à l’autrice d’affirmer avec force l’exigence d’une reconnaissance politique des femmes, en l’inscrivant dans les idéaux de liberté et d’égalité portés par la Révolution française.
  • Le registre dominant ici est le registre argumentatif : la démonstration repose sur une logique d’égalité, en s’appuyant sur les principes révolutionnaires pour justifier la légitimité des revendications féminines. L’usage de verbes d’action forts (demandent d’être constituées) illustre une volonté de changement et une prise de parole directe.

II) Articles de la Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne :

« La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits ». DDFC, art. 1

  • L’article 1 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne reprend presque mot pour mot l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), mais en y intégrant explicitement les femmes. En reprenant la formulation de la déclaration de 1789, Olympe de Gouges met en évidence les insuffisances d’un texte qui prône l’égalité tout en excluant la moitié de l’humanité.
  • Cette affirmation du principe d’égalité pose donc un principe fondamental : les femmes ont, dès leur naissance, les mêmes droits que les hommes. Cet article est particulièrement marquant car il constitue un manifeste politique en faveur de l’émancipation des femmes, en réclamant pour elles un statut juridique et citoyen équivalent à celui des hommes. Ce premier article fixe donc le cadre de toute la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne : une réhabilitation des droits des femmes dans un contexte révolutionnaire qui les a laissées de côté.
  • Le registre dominant est didactique et juridique : l’énoncé adopte un ton solennel, propre aux textes fondateurs, et pose par l’emploi du présent de vérité générale un principe universel et intemporel relevant du droit naturel1. La tonalité est par ailleurs revendicative : Il s’agit d’un acte politique fort qui défie directement l’ordre établi et demande une refonte constitutionnelle.

« […] l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison. » DDFC, art. 4

  • Dans cet article, Olympe de Gouges dénonce les limites arbitraires imposées aux femmes et réclame une réforme fondée sur des principes universels relevant du « droit naturel »1. L’autrice affirme tout d’abord que les seules restrictions aux droits des femmes résultent d’une « tyrannie perpétuelle » exercée par les hommes. Elle met ainsi en lumière l’injustice de la Révolution qui entrave la liberté des femmes.
  • Cet article constitue par ailleurs un appel à une réforme législative : en proposant que ces limites injustes soient corrigées, Olympe de Gouges s’appuie sur « les lois de la nature et de la raison », principes chers aux philosophes des Lumières. Cela suggère que l’égalité entre les sexes est une exigence rationnelle et naturelle, et non une construction sociale. En invoquant la raison, l’autrice rejette par ailleurs les arguments traditionnels (force physique, coutumes, religion) qui justifieraient l’infériorisation des femmes. Ce passage s’inscrit donc dans une démarche révolutionnaire et juridique, visant à inscrire l’égalité des sexes dans le droit naturel et non dans un système de domination arbitraire.
  • Le registre dominant est le registre polémique. L’expression « tyrannie perpétuelle » souligne la violence et l’injustice de la domination masculine. La dimension argumentative est également essentielle : l’autrice ne se contente pas de dénoncer, elle propose une réforme fondée sur la nature et la raison : valeurs universelles qui renforcent la légitimité de sa revendication.

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune […] ». DDFC, art. 10

  • Cet article est essentiel : Olympe de Gouges revendique la liberté d’expression pour les femmes et met en évidence l’injustice de leur exclusion des droits politiques. En reprenant le principe révolutionnaire de liberté d’opinion, Olympe de Gouges souligne que ce droit doit s’appliquer à tous, y compris aux femmes.
  • Par ailleurs, cet article met en évidence une contradiction : les femmes subissent les peines les plus lourdes (comme la peine de mort) mais sont privées de droits politiques. Si « la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la Tribune » : par cette antithèse frappante, l’autrice dénonce les insuffisances du système révolutionnaire qui prône l’égalité, mais qui continue à exclure les femmes des droits citoyens. La Tribune, symbole du pouvoir et de la prise de parole publique, représente ici l’accès des femmes aux débats et à la vie politique.
  • Le registre dominant est le registre polémique et didactique. Polémique car l’opposition entre l’échafaud et la tribune est particulièrement provocante et force à une prise de conscience quant à l’incohérence du système. D’un point de vue argumentatif, l’autrice s’appuie sur un principe fondamental de la Révolution française (liberté d’opinion) pour revendiquer l’égalité des droits entre hommes et femmes, notamment en matière de participation politique.

« La masse des femmes, coalisée pour la contribution à celle des hommes, a le droit de demander compte, à tout agent public, de son administration ». DDFC, art. 15

  • Ce passage de l’article 15 de la Déclaration d’Olympe de Gouges revendique le droit des femmes à participer à la vie politique et à exiger des comptes des dirigeants, tout comme les hommes. En s’appuyant sur le principe fondamental de la souveraineté du peuple, l’autrice dénonce l’exclusion des femmes de la citoyenneté active et affirme qu’elles contribuent à la société (par le travail, les impôts, etc.), et doivent donc bénéficier des mêmes droits politiques, notamment celui de contrôle des affaires publiques (« a le droit de demander compte à tout agent public, de son administration »).
  • Ce passage est porteur d’une forte dimension revendicative. L’expression « la masse des femmes » souligne leur exclusion massive du pouvoir. De même, l’idée de « demander compte » est largement polémique face aux injustices du régime politique. Sur le plan argumentatif, le raisonnement est imparable : si les femmes contribuent à l’État, elles doivent avoir un droit de regard sur son administration. La tournure impersonnelle de la phrase cherche à convaincre, en plaçant les femmes dans un cadre collectif et légitime, qui ne peut être ignoré.

« Toute société, dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ; la Constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la nation, n’a pas coopéré à sa rédaction. » DDFC, art. 16

  • Cet article affirme un principe démocratique essentiel : une société ne peut être considérée comme légitime et conforme aux principes de justice que si les droits fondamentaux de tous sont garantis et que la séparation des pouvoirs est clairement définie. Inspirée par Montesquieu, Olympe de Gouges rappelle que sans séparation des pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire), une Constitution n’a aucune valeur réelle et ne peut être considérée comme valide.
  • L’originalité du texte d’Olympe de Gouges réside en outre dans l’ajout d’une condition essentielle à la légitimité d’une Constitution : la participation de la majorité des individus qui composent la nation à sa rédaction. Olympe de Gouges souligne donc implicitement que les femmes sont exclues de ce processus, alors qu’elles constituent une part essentielle de la population. Elle dénonce ainsi le caractère illégitime d’une constitution qui ne prendrait pas en compte les droits des femmes et ne serait élaborée que par les hommes. Olympe de Gouges défend ainsi un véritable principe d’égalité et de souveraineté populaire, soulignant que la démocratie ne peut exister sans la participation de tous. Cette vision anticipe les revendications féministes modernes en faveur du droit de vote et de l’égalité politique.
  • Le registre didactique et polémique domine largement : Olympe de Gouges utilise tout d’abord un raisonnement logique (« garantie des droits » pour tous et « séparation des pouvoirs ») pour établir la légitimité d’une Constitution. L’affirmation « n’a point de Constitution » et « la Constitution est nulle » pose un principe absolu, renforcé par l’utilisation du présent de vérité générale qui donne une dimension universelle à son raisonnement. Le registre polémique est également très marqué : la phrase « si la majorité des individus qui composent la nation, n’a pas coopéré à sa rédaction » comporte une critique implicite des Révolutionnaires qui excluent les femmes du processus législatif. L’emploi du qualificatif « nulle » est particulièrement polémique : il ne s’agit pas seulement d’un manquement, mais d’une invalidation complète de la Constitution si les femmes ne sont pas impliquées.

III) Postambule de la Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne :

« Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits ». DDFC, Postambule

  • Olympe de Gouges lance ici un appel vibrant aux femmes pour qu’elles prennent conscience de leur oppression et revendiquent leurs droits. On notera tout d’abord l’appel à la prise de conscience : l’impératif « Femme, réveille-toi ! » constitue une injonction directe. Il suggère que les femmes ont été maintenues dans une forme de passivité et qu’il est temps pour elles de s’émanciper.
  • Les références aux Lumières sont par ailleurs nombreuses : l’image du « tocsin », évoque une alarme ou un appel à la mobilisation, qui rappelle les grands événements de la Révolution française et donne à ce discours une dimension combative. De même, la référence à la raison est essentielle : la raison et la lutte pour l’égalité sont en effet l’arme des philosophes dans leurs combats contre l’obscurantisme. C’est en effet au nom de la raison qu’Olympe de Gouges dénonce les inégalités hommes-femmes. La raison évoque donc l’idée d’éclairer les hommes par la connaissance et l’accès au savoir. L’expression « se fait entendre dans tout l’univers » suggère enfin que la lutte pour l’égalité dépasse le cadre français et concerne toutes les femmes du monde. Ce passage s’inscrit donc dans une logique d’éveil et d’émancipation des femmes, les incitant à revendiquer activement leurs droits au même titre que les hommes l’ont fait lors de la Révolution.
  • Le registre dominant est le registre oratoire dont le but est de convaincre par la parole : recours à l’apostrophe, à la métaphore et à l’hyperbole, amplification rythmique de la phrase, ton emphatique, etc. L’usage d’impératifs et d’images fortes donne par ailleurs au texte un ton solennel destiné à frapper le lecteur autant qu’à satisfaire la logique. Le champ lexical de l’alerte (« tocsin ») et de la revendication (« reconnais tes droits ») rappelle les appels à la mobilisation du peuple pendant la Révolution.

« Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir ». DDFC, Postambule

  • Dans cet extrait du Postambule, Olympe de Gouges adresse un message d’espoir et d’émancipation aux femmes, en les incitant à agir pour leur liberté. L’expression « Quelles que soient les barrières » montre que l’oppression des femmes est réelle et multiple, mais pas insurmontable : l’autrice insiste sur le fait que ces obstacles ne doivent pas être acceptés comme une fatalité. Le passage souligne en effet que la clé de l’émancipation des femmes réside dans leur propre volonté : « il est en votre pouvoir de les affranchir ». Cette phrase renforce l’idée que les femmes ne sont pas condamnées à subir, mais qu’elles peuvent agir et se libérer elles-mêmes. Le verbe « vouloir » est une exhortation à l’action : il met l’accent sur la prise de conscience et la détermination individuelle et collective nécessaires pour atteindre l’égalité.  Ce passage traduit donc une vision volontariste et engagée de la lutte féministe, insistant sur la nécessité pour les femmes de s’impliquer activement dans leur propre libération.
  • Le registre dominant est le registre exhortatif (exhortatif : qui incite à agir et pousse à l’action) et engagé. Olympe de Gouges lance un appel aux femmes dans le but de les sensibiliser, les inciter, les mobiliser pour qu’elles se révoltent contre leur condition. Ce texte constitue donc un appel à l’action et à l’engagement.

© Bruno Rigolt, janvier 2025.

1.  Le droit naturel désigne une théorie essentielle de la philosophie du droit selon laquelle il existe des droits fondamentaux inhérents à la nature humaine, indépendants des lois créées par les sociétés humaines. Ces droits sont considérés comme universels, inaliénables et intemporels. Ils sont souvent associés à des principes éhiques et moraux, et se trouvent au-delà du « droit positif » (créé par les autorités humaines et variable dans le temps).
2.  Le « Serment du Jeu de Paume » : le 20 juin 1789, les députés du Tiers-État, se voyant empêchés de se réunir dans la salle des États généraux, font le serment de ne pas se séparer avant d’avoir rédigé une constitution pour le royaume. Ce serment marque le début de l’Assemblée nationale constituante. Par la suite, cette Assemblée a travaillé sur l’élaboration de textes fondateurs, dont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui sera adoptée le 26 août 1789. Ce texte fondamental pose les principes de liberté, d’égalité, de fraternité, et affirme les droits naturels et imprescriptibles de l’homme, notamment la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.

Entraînement à la contraction et à l’essai (EAF écrit, séries technologiques)

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Contraction de texte et Essai (sujet inédit)
Parcours : « Écrire et combattre pour l’égalité »

Texte de la contraction : discours d’Isabelle Lonvis-Rome* prononcé le 30 janvier 2023 : « présentation du Plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine : 2023-2026 » (extraits).

* Ministre déléguée auprès de la Première ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances.

Cette année, ils ont été un million deux cent mille à se taire.
Un million deux cent mille à subir des insultes, des discriminations, des actes racistes ou antisémites, et à ne pas déposer plainte. Un million deux cent mille, c’est la population du Val d’Oise.
Un million deux cent mille, ce sont autant de femmes, d’hommes et d’enfants qui sont marginalisés, exclus, empêchés, raillés, violentés en raison de leur couleur de peau, origine, religion.
Ce sont autant de femmes et d’hommes obligés de changer leurs enfants d’école, de déménager, avant d’en venir à douter de leur présence en France, leur pays, tant les intimidations, la crainte, les agressions sont devenues invivables.
C’est à elles, c’est à eux que ce plan s’adresse. C’est à toutes et tous que ce plan s’adresse.
Ce plan, vous venez de le découvrir. Il est une réponse concrète à ce qui fait la honte de notre Nation. C’est le geste rassurant d’une République qui leur dit qu’ils doivent garder la tête haute. C’est aussi, et surtout, un avertissement aux auteurs de ces actes nauséabonds : nous ne transigerons pas.
Ce que nous réaffirmons, avec ce plan ambitieux, c’est qu’ici, sur le territoire de la République, chacun jouit des mêmes droits. Quelles que soient son origine, sa culture, sa religion ou sa couleur de peau. Il nous faut le répéter pour que personne ne perde foi en la République, en notre destinée commune.
Car oui, nous avons une destinée commune, un contrat social à façonner et à respecter. C’est aussi cela, faire Nation.
Faire Nation, c’est prôner l’universalisme.
Un universalisme républicain, et donc humaniste.
Pas un universalisme dévoyé.
Pas l’universalisme conquérant, qui veut que chacun se ressemble, qui nie l’existence d’un monde pluriel.
[…] L’universalisme auquel il nous faut aspirer est celui qui offre à chacun la dignité qui lui revient. Une société où chacun est l’égal de l’autre, comme le prône la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Car c’est bien sur l’État de droit que repose cet universalisme. Il nous faut être les garants de cet État de droit, le plus solide rempart contre la haine. Garants, aussi, de la liberté d’expression qui ne doit jamais piétiner la dignité humaine. NON, jamais la liberté d’expression ne sera prétexte à la haine raciste, antitsigane et antisémite. Tolérance zéro. […] Personne, dans la mise en place de ce plan, ne devra se sentir laissé pour compte. J’y veillerai. Je resterai à l’appui des autorités locales qui auront à décliner ces mesures, et sillonnerai le pays pour le porter à leurs côtés.
La lutte contre le racisme, l’antisémitisme, l’antitsiganisme et les discriminations liées aux origines doit d’abord concerner notre jeunesse. En ouvrant des écoles, nous fermerons des prisons, pour paraphraser Victor Hugo. C’est en formant des citoyens conscients et responsables que nous nous débarrasserons de ce mal dont notre société souffre depuis trop longtemps. La transmission mémorielle en est la clé. C’est pourquoi, plusieurs mesures ciblent l’éducation de tous les enfants et adolescents, et la formation de ceux qui les encadrent. Parmi les mesures ambitieuses qui vous ont été présentées, la visite d’un lieu de mémoire à destination des plus jeunes est essentielle. C’est par la connaissance de l’Histoire que l’on évitera la répétition des heures les plus sombres de l’humanité. Pour lutter aussi contre les stéréotypes liés à l’antitsiganisme, un travail mémoriel sera élaboré autour de l’Histoire des populations Roms et des Gens du voyage.
L’Histoire alerte trop souvent le présent.
Rien n’est plus éloigné que le jour passé ; et rien n’est plus proche que le jour qui vient.
Il est aussi impératif de ne jamais céder à la banalisation du racisme de l’antisémitisme et de l’antitsiganisme. À ce propos, Charles Péguy écrivait « Il y a quelque chose de pire qu’une âme perverse, c’est une âme habituée ».
Les discours haineux que certains proclament fièrement sur des plateaux de télévision comme s’ils étaient respectables, dans des vidéos sur internet à plusieurs millions de vues, dans des livres à gros tirage ou pendant une campagne électorale ne doivent pas devenir une habitude, une sale habitude.
Nous ne pouvons être la nation qui a fait entrer Simone Veil au Panthéon, tout en banalisant de tels propos. La politique est un combat, la haine n’y a pas sa place.
[…]
Je l’ai dit, l’éducation est le premier outil à notre disposition pour éradiquer ces fléaux. Le second est le traitement judiciaire.
Nous devons renforcer la confiance des citoyens dans les institutions de la République.
La Justice est une réponse clé au racisme, à l’antitsiganisme et à l’antisémitisme.
C’est pour cela que la prise de plainte sera améliorée, les forces de l’ordre seront outillés pour mieux qualifier les faits, les peines seront exécutées pour que les auteurs condamnés ne pensent plus pouvoir y échapper en fuyant à l’étranger. Le sentiment d’impunité doit cesser.
[…]
Les racistes, les antisémites, les antitsiganes, ceux qui distinguent les êtres selon ou en raison d’une couleur de peau, d’une religion, ou d’une nationalité, sont nos ennemis les plus redoutables. Ils sont les ennemis de la République.
Lorsque je pense à cet ennemi commun que nous avons, ce sont souvent les mots de Tahar Ben Jelloun, dans Le racisme expliqué à ma fille qui s’imposent à moi. « Très souvent, le raciste s’aime beaucoup. Il s’aime tellement qu’il n’a plus de place pour les autres, d’où son égoïsme ».
C’est ce qui fait que nous gagnerons cette bataille : nos cœurs républicains, eux, ne manqueront de place pour personne.
Je vous remercie.

[Discours d’Isabelle Lonvis-Rome : présentation du Plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine 2023-2026. Pour accéder à l’intégralité du discours, cliquez ici.]

Nombre de mots : 920 environ.

Activités d’écriture

CONTRACTION (10 points)
Vous résumerez ce texte en 230 mots. Une tolérance de +/– 10 % est admise : votre travail comptera au moins 205 mots et au plus 255 mots.

  • Vous placerez un repère dans votre travail tous les 50 mots.
  • Vous indiquerez, à la fin de votre contraction, le nombre total de mots utilisés.

ESSAI (10 points)
Dans son discours, Isabelle Lonvis-Rome affirme : « L’Histoire alerte trop souvent le présent ». Selon vous, en quoi les leçons du passé concernant les luttes pour l’égalité aident-elles à construire notre présent ? Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre du parcours « Ecrire et combattre pour l’égalité ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

Présenter la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne à l’oral de l’EAF : comment préparer et réussir l’entretien ?

Vous allez présenter la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne à l’oral de l’EAF… Comment préparer et réussir l’entretien ?

Le choix de l’oeuvre d’Olympe de Gouges pour la deuxième partie de l’oral (entretien) peut s’avérer très intéressant : la Déclaration est en effet un texte bref, rédigé dans un style juridique et direct, ce qui en facilite la lecture. Chaque article énonce de manière explicite une revendication, que ce soit pour le droit de vote, l’égalité devant la loi, ou l’accès aux fonctions publiques et aux biens. Loin d’être théorique, le texte est également un appui à l’action politique et un appel au changement social : même si l’oeuvre se lit assez rapidement, la portée des revendications soulevées dans cette Déclaration est donc très importante puisque Olympe de Gouges défend des principes d’égalité et de justice sociale qui résonnent encore aujourd’hui.

Cela dit, votre présentation peut rapidement devenir maladroite si vous la préparez mal et si vous limitez votre réflexion à quelques textes déjà présentés pour l’exposé oral. N’oubliez pas que plus un livre est bref, plus la densité du texte demande donc une attention accrue pour saisir pleinement la portée des idées exprimées, ainsi que les subtilités et les nuances que l’œuvre cherche à transmettre.

Tout d’abord, soyez clair et structuré. Élaborez obligatoirement un plan pour que votre présentation soit logique et fluide le jour de l’examen. C’est d’autant plus important que votre présentation doit être très brève : 2 minutes 1/2 à 3 minutes maximum pour réaliser un exposé qui « impacte », vous devez donc être organisé. Le moyen le plus simple de faire une présentation bien construite est de mentionner clairement au brouillon chaque point que vous allez aborder au cours de votre exposé, et la façon dont vous allez l’aborder. Structurez votre intervention du début jusqu’à la fin de celle-ci.

Votre prestation orale doit être scénarisée, c’est-à-dire qu’elle doit obéir à un scénario. Le scénario, c’est l’itinéraire suivi dans l’exposé. Donc sur votre brouillon pensez à noter les grandes étapes qui doivent conduire votre démonstration : vous devez avoir devant vous les grandes lignes de votre exposé, accompagnées si possible de repères temporels (minutage par exemple), de mots clés, de notions ou de données importantes. Mettez-les en évidence sur votre feuille afin de les visualiser immédiatement : ainsi, vous éviterez les trous de mémoire qui sont particulièrement pénalisants à l’oral.

Avant l’oral, entraînez-vous à parler de l’œuvre, sans lire vos notes, afin de ne pas trop dépendre de votre feuille. Soignez également votre diction : prenez le temps de bien articuler et de justifier vos idées de manière concise.

Enfin, le plus important : n’oubliez pas que votre opinion personnelle est fondamentale. Vous devez obligatoirement apporter un éclairage personnel sur ce que vous ressentez ou comprenez dans l’œuvre. L’entretien en effet n’est pas un questionnaire de lecture mais bien plus un dialogue constructif permettant d’apprécier comment le candidat s’est approprié personnellement le texte et comment sa lecture prolonge les réflexions menées en classe sur l’œuvre intégrale et le parcours associé. Cette appropriation personnelle peut prendre plusieurs formes :

  • Réflexion critique : il ne faut surtout pas accepter passivement le contenu de l’œuvre, mais en discuter les implications, poser des questions voire même être en désaccord avec certains points.
  • Relation avec l’œuvre : vous devez montrer en quoi cette œuvre vous a touché ou comment elle résonne avec votre expérience personnelle, vos valeurs ou votre propre vécu.

Exemple de présentation (dans cet exemple, la durée de l’exposé est d’environ 2 minutes ½)

« L’œuvre que j’ai choisi de vous présenter est la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Il s’agit d’un texte publié le 14 août 1791 par Olympe de Gouges, femme des Lumières et militante abolitionniste, en réponse à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Dans ce texte fondateur de la cause féministe, Olympe de Gouges revendique l’égalité des sexes en matière de droits civils et politiques. Rédigée pendant la Révolution française, La Déclaration d’Olympe de Gouges condamne l’exclusion des femmes des droits proclamés en 1789 et défend leur participation à la vie publique.

Plusieurs points de cette Déclaration m’ont paru particulièrement importants.

En premier lieu, l’égalité hommes-femmes : Olympe de Gouges estime que les femmes doivent avoir les mêmes droits que les hommes, notamment le droit de vote, le droit d’accéder aux fonctions publiques et de participer à l’élaboration des lois. De plus, Olympe de Gouges aborde la question des libertés fondamentales : elle montre que la liberté, la propriété, la sécurité et la résistance à l’oppression doivent être garanties pour tous, indépendamment du genre. En prolongement de cette réflexion, l’autrice pose la question de la responsabilité des femmes : elle souligne que les femmes, tout comme les hommes, doivent assumer leurs devoirs civiques et légaux. Enfin, la réflexion autour du mariage et de l’égalité est un aspect important de cette œuvre. Olympe de Gouges s’en pred souvent au mariage, qu’elle dénonce comme un instrument d’inégalité : à la place, elle n’hésite pas à proposer  un « contrat social » garantissant l’équité entre conjoints.

Mal accueillie à son époque, cette Déclaration est aujourd’hui reconnue comme un texte pionnier du féminisme, affirmant des idées novatrices pour l’égalité des genres. Depuis 2016, un buste est même installé à l’Assemblée nationale pour honorer le rôle d’Olympe de Gouges dans l’histoire des droits des femmes et de la Révolution française. J’ai choisi de lire et de présenter ce livre pour le Baccalauréat car il m’a permis, en tant qu’adolescent, de réfléchir à mon rôle dans la société et à mes propres convictions. Ce texte m’a amené par exemple à me poser de nombreuses questions : pourquoi des droits qui semblent évidents de nos jours ne l’étaient pas à son époque ? Comment cette oeuvre met-elle en lumière plusieurs inégalités qui perdurent de nos jours, comme l’écart salarial ou les violences faites aux femmes ? C’est donc une œuvre qui encourage une réflexion critique sur les discriminations encore présentes dans le monde moderne. Il est important de se rappeler par exemple que les droits ne sont jamais acquis sans effort et qu’ils doivent être défendus. Toutes ces questions éclairent des débats comme l’accès des femmes à des postes de pouvoir, ou encore l’éducation des filles dans le monde.

Enfin, j’ai choisi l’œuvre d’Olympe de Gouges car je pense qu’elle peut susciter l’engagement et la réflexion citoyenne. Ainsi, Olympe de Gouges incarne le courage et l’action politique : elle a osé s’attaquer aux stéréotypes de genre et défier les préjugés obscurantistes de son époque pour défendre des convictions, au péril de sa vie. Cette lecture m’a donc montré combien il était important de défendre ses idées et de s’investir dans des causes importantes, comme l’égalité ou les droits humains. Bien que rédigée en 1791, cette Déclaration résonne encore au XXIème siècle : comme je l’évoquais, de nombreuses inégalités subsistent dans plusieurs domaines. Lire ce texte m’a donc aidé à comprendre qu’être féministe ou défendre l’égalité est un acte universel et intemporel, et pas seulement réservé aux femmes. D’ailleurs, Olympe de Gouges dépasse la question des femmes dans son texte, en posant la question de la dignité et des droits de tous.

Quelques questions (parmi tant d’autres…) que l’examinateur pourrait vous poser (il s’agit bien sûr de suggestions… Mais plus vous vous entraînerez, et plus vous serez préparé le jour J).

Examinateur : Êtes-vous rentré·e facilement dans l’œuvre ou vous a-t-elle déstabilisé ?
Candidat : Personnellement, je suis entré assez facilement dans ce texte. J’ai apprécié en particulier la structure claire inspirée de la Déclaration des Droits de l’homme. Le texte suit en effet une logique simple et reconnaissable, avec un préambule, un postambule et 17 articles numérotés, ce qui facilite la circulation dans le livre. J’ai également apprécié la forme de l’argumentation directe grâce à un langage percutant qui permet à chacun de faire des liens avec son propre vécu. Certains passages m’ont malgré tout déstabilisé lors de ma lecture : Olympe de Gouges consacre par exemple une partie importante à ce qu’elle appelle « Forme du contrat social de l’homme et de la femme ». Ce contrat s’inscrit avant tout dans le cadre du droit privé et aborde des questions liées au mariage, à la filiation et à la justice dans les relations conjugales. C’est une partie parfois très juridique, et j’ai eu davantage de mal à entrer dans le texte.

Examinateur : Justement, pouvez-vous m’en dire davantage sur ce « contrat social » ?
Candidat : J’ai été très intéressé par le contenu et les enjeux de ce contrat conjugal, à commencer par l’égalité dans le mariage : Olympe de Gouges n’hésite pas à aborder la question de l’indépendance économique et juridique des femmes : elle évoque des principes qui rappellent les débats modernes sur le régime matrimonial, en demandant par exemple que la femme conserve une autonomie financière et des droits égaux dans la gestion des biens du couple. De même, en proposant un contrat basé sur l’équité, elle anticipe des notions modernes comme le divorce équitable ou la répartition juste des responsabilités parentales en cas de séparation.
Enfin, le « contrat » que propose Olympe de Gouges inclut des dispositions sur la filiation, comme le devoir des parents de reconnaître leurs enfants, qu’ils soient légitimes ou non : Olympe de Gouges estime ainsi que les femmes doivent pouvoir forcer un père inconstant « à tenir ses engagements » envers un enfant naturel. Cette vision novatrice remet en question les discriminations envers les enfants nés hors mariage. Ce « contrat » est donc très novateur car il préfigure les évolutions du droit matrimonial moderne, comme la reconnaissance de l’égalité entre époux, la protection des enfants nés hors mariage ou l’accès au divorce.

Examinateur : Vous êtes-vous renseigné sur la vie de l’autrice ? Y a-t-il par exemple des aspects de sa vie personnelle qui se retrouvent dans le texte ?
Candidat : Oui en effet, la vie d’Olympe de Gouges est étroitement liée aux idées qu’elle défend dans sa Déclaration. D’abord, c’est une femme d’origine modeste et autodidacte : Olympe de Gouges (née Marie Gouze) est issue d’une famille de Montauban. Mariée à 17 ans contre sa volonté, elle devient veuve très tôt et décide de ne jamais se remarier. Cette expérience traumatisante explique sa critique virulente du mariage, qu’elle considère comme une institution oppressive pour les femmes ainsi que sa défense de l’union libre. Par exemple, sa proposition d’un « contrat social » dans le mariage repose sur son rejet du modèle patriarcal, fondé sur la soumission des femmes, qu’elle a elle-même subie très jeune. Par ailleurs, dans la vie d’Olympe de Gouges, l’affirmation d’une indépendance financière et intellectuelle sont fondamentales : ainsi, après avoir quitté Montauban, Olympe de Gouges s’installe à Paris, où elle s’engage dans la littérature et la politique. Elle devient une femme de lettres indépendante, vivant de ses écrits, ce qui était très rare à son époque. Cette indépendance se reflète dans son appel à une égalité économique et juridique dans le couple. Elle défend la capacité des femmes à être autonomes et à participer pleinement à la vie publique. Olympe de Gouges a également milité pour les opprimés : elle s’est toujours battue pour les droits des minorités et des exclus. Elle a même milité contre l’esclavage dans sa pièce Zamore et Mirza ou l’heureux naufrage et s’est battue pour l’égalité des droits, qu’il s’agisse des femmes ou des enfants illégitimes. Tous ces combats se retrouvent dans la Déclaration : elle insiste en particulier sur la reconnaissance des enfants nés hors mariage. Enfin, Olympe de Gouges a osé tenir tête aux autorités de son temps : elle s’est notamment opposée frontalement à Robespierre, ce qui a conduit à son arrestation et à son exécution en 1793. Dans le texte, son ton provocateur et direct, notamment envers les hommes et les autorités, reflète son caractère intrépide. Elle interpelle directement ses contemporains, les poussant à repenser la place des femmes dans la société. 

Examinateur : Connaissez-vous un autre livre d’Olympe de Gouges que vous pourriez recommander ?
Candidat : Deux textes m’ont personnellement intéressé : tout d’abord Zamore et Mirza ou l’Heureux Naufrage (1784) : l’action de cette pièce de théâtre se déroule dans une colonie et met en scène Zamore et Mirza, deux esclaves amoureux qui tentent d’échapper à leur condition. Par le biais de cette intrigue, Olympe de Gouges plaide pour l’abolition de l’esclavage : elle aborde par exemple une question morale audacieuse et profondément polémique pour son époque : celle du pardon accordé à un esclave vertueux pour avoir commis un crime, en réaction à l’injustice d’un maître corrompu. Au XVIIIème siècle, c’était un véritable affront : la société coloniale de l’époque reposait en effet sur une hiérarchie stricte où les esclaves étaient considérés comme des biens, dépourvus de toute moralité ou légitimité juridique face à leurs maîtres. En pardonnant le crime d’un esclave, Olympe de Gouges renverse cette hiérarchie : elle humanise l’esclave en lui attribuant des vertus comme la justice et la dignité morale, tout en dénonçant la corruption et la cruauté des esclavagistes. J’ai eu l’occasion de regarder l’exposition « Notre matrimoine »  réalisée par Clara magazine en partenariat avec l’association « Femmes Solidaires » au CDI de mon lycée : une femme m’a beaucoup touché et m’a permis de réfléchir différemment à la pièce Zamore et Mirza : il s’agit de « Solitude », née Rosalie en Guadeloupe vers 1772 et morte le 29 novembre 1802 : Solitude était une femme noire, née esclave en Guadeloupe, à une époque où l’esclavage était légalement pratiqué dans les colonies françaises. Elle a vécu sous l’oppression de l’esclavage, mais son nom reste gravé dans l’histoire pour sa résistance et son courage. Solitude a participé à la révolte de 1802, menée contre les troupes françaises de Napoléon, qui cherchaient à rétablir l’esclavage en Guadeloupe après son abolition par la Première République. Après la défaite de l’armée insurgée et la répression violente de la révolte, Solitude a été capturée et condamnée à la peine de mort. 

Examinateur : Vous me parliez d’une autre oeuvre d’Olympe de Gouges que vous connaissez…
Candidat : Oui, il s’agit de l’affiche intitulée « Les Trois Urnes, ou le Salut de la Patrie ». Olympe de Gouges fait imprimer cette affiche le 20 juillet 1793 : elle propose en particulier un référendum national permettant aux citoyens français de choisir le régime politique qui guidera la nation : monarchie, fédéralisme ou République. Ce texte, très novateur pour son époque, est une démonstration de son engagement pour la souveraineté populaire et la démocratie directe. À une époque où les luttes de pouvoir entre factions révolutionnaires dominent la scène politique, Olympe de Gouges place sa confiance dans le peuple. Elle estime que les citoyens eux-mêmes doivent décider du régime qui les gouvernera, plutôt que de laisser cette décision entre les mains des élites ou des factions politiques. En prônant un choix pacifique par voie de référendum, Olympe de Gouges s’oppose aux violences révolutionnaires et aux luttes fratricides qui divisent la France. Son affiche m’a beaucoup marqué car elle reflète une volonté de réconciliation entre les différentes visions politiques. Mais En pleine Terreur, alors que les Jacobins dominent la Convention nationale, toute critique de la République ou des révolutionnaires était perçue comme une trahison. En proposant la monarchie comme l’une des options des urnes, Olympe a donc pris un risque considérable : Cette affiche, perçue comme un acte contre-révolutionnaire par les Jacobins, a contribué à son arrestation et à sa condamnation à mort.

Examinateur : Y a-t-il un passage que vous avez particulièrement apprécié dans la Déclaration?
Candidat : il s’agit de l’article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune […] ». Ce que j’ai partoiculièrement apprécié dans cet article, c’est le fait qu’Olympe de Gouges affirme que chaque individu, homme ou femme, a le droit d’exprimer ses idées sans crainte de persécution, même lorsque ces idées remettent en question des principes établis. Personnellement, le passage de cette citation qui m’a le plus interpellé est celui-ci : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune » : Olympe de Gouges pointe une contradiction flagrante : si les femmes sont jugées égales aux hommes lorsqu’il s’agit de subir des punitions (comme la peine de mort), elles doivent l’être aussi pour exercer des droits politiques et accéder aux responsabilités publiques. Cette phrase souligne l’hypocrisie d’une société qui reconnaît l’égalité dans la condamnation, mais pas dans les droits. La mort tragique d’Olympe de Gouges donne à cette citation une résonance particulièrement forte. Monter à la tribune symbolise donc l’accès à la parole publique et au pouvoir politique. Cette citation est donc selon moi emblématique de la pensée d’Olympe de Gouges : elle revendique non seulement l’égalité entre les sexes, mais aussi une société plus juste, où chacun peut s’exprimer et participer librement.

Examinateur : Par quels aspects cette phrase que vous venez de commener peut-elle être mise en relation avec l’article 9 de la Déclaration qui stipule : « Toute femme étant déclarée coupable, toute rigueur est exercée par la loi » ? Comment comprenez-vous cette phrase ?
Candidat : Je pense que cette phrase dénonce une application plus sévère de la justice à l’égard des femmes, souvent sans égard pour les circonstances ou les causes profondes des actes. Olympe de Gouges a d’ailleurs souvent déploré les discriminations auxquelles les femmes étaient confrontées dans tous les aspects de la société, y compris dans la justice. Cette phrase est donc un appel à l’égalité devant la loi. En insistant sur l’idée que la loi doit être appliquée de manière équitable, sans tenir compte du sexe, Olympe de Gouges appelle à une réforme du système juridique, dans lequel les femmes, tout comme les hommes, devraient être jugées en fonction de leurs acre.

Examinateur : Vous avez situé Olympe de Gouges par rapport au contexte culturel des Lumières… Pouvez-vous étayer cet aspect ?
Candidat : La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges s’inscrit pleinement dans l’héritage des Lumières à travers la défense des droits humains, la critique des inégalités et l’engagement en faveur de la raison et du progrès social. Ce texte réinterprète et étend les principes des Lumières, souvent pensés exclusivement pour les hommes, afin d’y inclure les femmes. Par exemple, dans le Postambule de la Déclaration, Olympe de Gouges n’hésite pas à faire de la lutte pour l’émancipation des femmes un élément essentiel de la raison et du progrès : « Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation ». Olympe de Gouges s’appuie ainsi sur la raison pour remettre en question l’obscurantisme. Elle montre que les inégalités entre hommes et femmes ne sont pas naturelles, mais le produit de préjugés, et qu’elles peuvent donc être déconstruites par la connaissance et l’accès au savoir. Elle demande que les femmes aient accès à l’éducation, condition nécessaire pour leur pleine participation à la vie publique, ce qui rejoint les idées de Condorcet sur l’éducation des femmes. Enfin, j’ai particulièrement apprécié l’appel fait aux femmes de sortir de leur pssivité pour revendiquer leur place dans la société, en particulier dans ces propos célèbres du Postambule : « Femme, réveille-toi ». Cette phrase m’a rappelé qu’Olympe de Gouges partage avec Emmanuel Kant une vision commune sur l’importance de penser par soi-même. En associant les idées d’Olympe de Gouges à la célèbre notion de « minorité » et de « majorité » développée par Kant dans son texte Qu’est-ce que les Lumières ? (1784), on peut comprendre comment leurs pensées se rejoignent et se complètent dans une quête commune pour la liberté et l’autonomie intellectuelle. Pour Kant, l’état de minorité désigne une condition dans laquelle l’individu ne pense pas par lui-même et dépend d’autrui pour guider sa conduite. Pareillement, Olympe de Gouges a bien montré qu’une femme qui ne pense pas par elle-même ne peut pas accéder à sa « majorité », ni se libèrer de la tutelle des hommes pour exercer son propre jugement.

Examinateur : Comment comprenez-vous l’aticle 15 de la Déclaration : « La masse des femmes, coalisée pour la contribution à celle des hommes, a le droit de demander compte, à tout agent public, de son administration » ?
Candidat : Je pense que cet article met l’accent sur le droit des femmes à participer à la vie politique et à exiger des comptes de ceux qui détiennent le pouvoir public. En disant que la « masse des femmes est coalisée pour la contribution », Olympe de Gouges reconnaît et revendique la contribution économique, sociale et politique des femmes à la société, qui est souvent ignorée ou minimisée. De même, L’expression « droit de demander compte » fait référence à la responsabilité des représentants publics envers les citoyens. Olympe de Gouges revendique ainsi le droit pour les femmes de contrôler les actions de l’État. Elle soutient que les autorités publiques doivent rendre des comptes de leurs actions et décisions, notamment en ce qui concerne la gestion des affaires publiques, la distribution des ressources, et l’organisation sociale. L’article 15 n’est pas seulement un appel à la transparence gouvernementale, mais aussi une revendication pour l’égalité politique. Olympe de Gouges affirme que les femmes, en tant que citoyennes, doivent avoir le même droit que les hommes de participer au contrôle des affaires publiques.

Examinateur : Si vous deviez inventer la couverture du livre, que feriez-vous ?
Candidat : Je pense que je choisirais une mise en page qui reflète à la fois l’audace intellectuelle d’Olympe de Gouges, son engagement pour l’égalité, et le contexte historique de l’œuvre. Concernant le fond et les couleurs, je privilégierais une palette de rouge, blanc et noir : le rouge car c’est une couleur emblématique de la Révolution : elle évoque l’engagement, le courage, et la justice. Le blanc, pour représenter la pureté de ses idéaux et la quête d’une société plus juste. Enfin, le noir, en écho à la tragédie de son exécution. Pour l’image centrale, je m’inspirerais d’un Portrait d’Olympe de Gouges : peut-être le Portrait d’Olympe réalisé par Alexandre Kucharski (voir ci-contre) qui est reproduit dans mon livre, mais j’aimerais le moderniser : par exemple en faisant un portrait numérique afin d’insister sur la modernité de son œuvre. En arrière-plan, je représenterais une image de la tribune et de l’échafaud, deux éléments symboliques rappelant l’article 10 que j’évoquais précédemment. La tribune pourrait être représentée par une silhouette féminine, debout, prête à s’exprimer. L’échafaud, en arrière-plan, serait plus abstrait : forme sombre, presque floue, pour évoquer l’idée du sacrifice et de la répression.

Examinateur : Est-ce que ce livre a influencé certains jugements que vous portez sur le monde ?
Candidat : Ce qui m’a le plus marqué dans la Déclaration des droits de la femme d’Olympe de Gouges concerne les questions d’égalité, de justice sociale, et de droits humains. Bien que le texte ait été écrit en 1791, ses principes sont encore actuels et résonnent dans de nombreux aspects des sociétés contemporaines. Cette oeuvre m’a poussé à adopter un regard critique sur les systèmes en place et à défendre des principes d’égalité et de liberté qui sont plus que jamais nécessaires dans le monde actuel. Olympe de Gouges a été une des premières femmes à défendre l’égalité des droits entre les femmes et les hommes dans un contexte où la soumission des femmes était profondément enracinée dans les sociétés européennes.  Cette influence se retrouve dans les débats modernes sur la parité, la lutte contre les violences faites aux femmes. Cet ouvrage m’a donc aidé à comprendre que l’égalité n’est pas simplement un principe abstrait, mais un droit fondamental à garantir dans chaque sphère de la société. Cette idée d’une justice égalitaire et universelle trouve également un écho dans les luttes pour les droits humains dans le monde, qu’il s’agisse des droits des réfugiés, des populations précaires, ou des droits à l’éducation et à la santé.

© Bruno Rigolt, janvier 2025.

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EAF Poésie : « Le bateau ivre » de Rimbaud et la « Lettre du voyant » : une poétique de l’insoumission.

  • Oral EAF. Objet d’étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle
  • Parcours « Émancipations créatrices »
  • Lectures complémentaires. Approfondissements pour l’entretien au Bac :

« Le bateau ivre » de Rimbaud et la « Lettre du voyant » : une poétique de l’insoumission.

par Bruno Rigolt

Plan du cours :

  1. « Le bateau ivre » : analyse et pistes d’interprétation
  2. « Lien avec la « Lettre du voyant »
  3. Pistes de réflexion pour le parcours « émancipations créatrices »

« Le bateau ivre » :
analyse et pistes d’interprétation

___________William TURNER, « Tempête de Neige », 1842. Londres, Tate Britain

Astuce : lors de l’entretien oral, n’hésitez pas à valoriser votre culture générale  : par exemple, exploiter votre culture artistique peut être un atout pour enrichir vos démonstrations. Ainsi, le tableau de Turner intitulé « Tempête de neigne », qu’il a peint en 1842 est intéressant à exploiter : Turner est en effet célèbre pour ses représentations tumultueuses des éléments naturels, notamment les tempêtes en mer.  Cette toile par exemple capture la violence et la grandeur de l’océan, tout en évoquant l’atmosphère enivrante du « Bateau ivre » qui affronte des flots déchaînés, tout en se laissant emporter par eux dans une sorte d’ivresse poétique et de « dérèglement de tous les sens », pour reprendre une image célèbre de la « Lettre du voyant »..


« Le bateau ivre » raconte l’histoire d’un bateau qui se détache de toute ancre et part à l’aventure, emporté par les flots. C’est l’un des poèmes les plus célèbres d’Arthur Rimbaud. Écrit à la fin de l’été 1871, ce poème de 100 vers organisés en 25 quatrains représente par ailleurs l’une des œuvres majeures du mouvement symboliste. « Le Bateau Ivre » est écrit à un moment où Rimbaud traverse une crise existentielle et artistique profonde : dès l’adolescence, il manifeste en effet une personnalité rebelle et anticonformiste, ainsi qu’un goût prononcé pour l’aventure. À peine âgé de 16 ans, il est en rébellion contre la société bourgeoise et les valeurs de son époque. Ce poème naît donc dans un contexte de révolte intérieure et extérieure : révolte contre la famille, les conventions sociales, mais aussi contre la poésie traditionnelle (voir plus loin : la « Lettre du voyant »). Rimbaud cherche en effet à renverser les codes littéraires et à exprimer son désir d’affranchissement et d’émancipation, d’où l’aspect transgressif et novateur du poème. 

L’allégorie du bateau : un symbole de la révolte et de l’émancipation créatrice

Dès la première strophe, Rimbaud introduit le thème central : l’abandon total du poète à la liberté et à l’inconnu, symbolisés par le bateau qui échappe à tout contrôle : 

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

Cette première strophe est une évocation très suggestive de la rupture. Le bateau, métaphore du poète, se libère des « haleurs » : les haleurs, c’est-à-dire ceux ceux qui tiraient les bateaux le long des canaux ou des fleuves, symbolisent les forces traditionnelles qui dirigent et maîtrisent le cours du bateau. Ils symbolisent ici la soumission, la contrainte exercée par la société. Leur disparition marque ainsi une rupture avec l’ordre établi, les contraintes sociales, morales ou littéraires. Symboles de l’ordre et de la tradition, les haleurs sont « pris pour cible » par les Peaux-Rouges et leur violence barbare : « Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,/Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs ». Ce passage illustre la quête d’absolu de Rimbaud : un voyage audacieux où le rejet des conventions et l’abandon à l’inconnu deviennent les conditions nécessaires à la création poétique. Le bateau, vaisseau sans gouvernail, devient ici une allégorie de la révolte adolescente. En perdant le contrôle et en se laissant emporter par les vagues, le bateau symbolise un individu qui cherche à s’affranchir des restrictions sociales, des limites et des conventions. 

Le bateau est un moyen de transport, mais il devient également le symbole d’une exploration plus profonde, une métaphore d’une quête intérieure et spirituelle :

J’étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais. 

Le bateau est présenté ici comme libéré des contraintes, notamment de la logique utilitaire des « équipages ». Les équipages imposaient une direction, une organisation et une finalité au voyage maritime. Leur absence signifie une rupture avec l’autorité et les structures imposées. Par opposition, le terme « insoucieux » traduit un état d’esprit libre, détaché des responsabilités ou des attentes liées à des fonctions définies. Cela renvoie à l’idée de Rimbaud de s’affranchir des codes traditionnels et de rejeter les cadres imposés par la société. Ainsi, le bateau se souvient d’un passé où il était un simple outil économique, transportant des marchandises (« blés », « cotons »). Ces images évoquent la société marchande : le bateau était alors soumis à une fonction précise : privé de liberté, entièrement au service de l’ordre économique. Sur un plan poétique, cette fonction « domestiquée » du bateau reflète une poésie conventionnelle et utilitaire, confinée dans des cadres rigides et incapable de transcender la banalité (cf. l’image des « fleuves impassibles » dans la première strophe).

L’autonomie et la quête de liberté

« Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais. » : dans ce vers, le bateau affirme sa libération totale. Les fleuves, qui jusque-là représentaient un cadre limité et dirigé, deviennent des espaces d’affranchissement et de liberté. Le bateau n’est plus contraint par un chemin tracé : ivre de bonheur, de liberté et d’espoir, il n’écoute plus que son désir d’aventures : ce vers illustre également l’idée que le poète, après s’être libéré des conventions, peut enfin explorer des territoires inédits, inventer de nouveaux langages, de nouvelles formes poétiques comme le suggère la troisième strophe du texte : 

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots !

Cette strophe exprime un moment de jubilation et d’exaltation dans l’expérience de dérive et de liberté absolue. Elle met en scène le bateau désormais affranchi des contraintes terrestres, vivant une aventure initiatique où la tempête, loin d’être une menace, devient une alliée qui « sanctifie » ce voyage poétique (« la tempête a béni »). Traditionnellement associée à une force destructrice dans la littérature, la tempête est décrite ici de manière méliorative. En « bénissant » les « éveils maritimes » du bateau, elle devient une force initiatique, presque sacrée, qui accompagne la métamorphose du bateau. Le terme d’ « éveils maritimes » suggère un moment de prise de conscience initiatique et de révélation : au caractère utile du langage brut s’oppose le caractère sacré du poème. La dérive du bateau apparaît dès lors comme une aventure spirituelle. Non seulement une libération mais plus fondamentalement une purification, une « émancipation créatrice » propice à la renaissance et à la connaissance. Le bateau, et par extension le poète, entre dans un nouvel état, marqué par la liberté, l’expérimentation et l’exploration. La tempête symbolise également la violence nécessaire à toute transformation. Elle efface l’ordre ancien (les contraintes des haleurs, l’asservissement à la marchandisation) pour ouvrir un chemin vers l’inconnu.

Cette image illustre la vision rimbaldienne de la poésie comme bouleversement nécessaire,  rupture violente pour accéder à un « éveil » vers de nouvelles perceptions et réalités : « Je courus ! Et les Péninsules démarrées/N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants ».  Ces vers marquent un moment d’exaltation dans le voyage symbolique du bateau, qui représente à la fois la quête de liberté, l’effervescence créatrice et la révolte adolescente. Le mouvement, la démesure et le triomphe de l’émancipation sont au cœur de ces images percutantes : le verbe « courus », utilisé ici à la première personne, donne une impression de vitesse, d’élan irrésistible. Ce mouvement est spontané, presque impulsif, traduisant une urgence et une exaltation dans la quête d’ailleurs. En attribuant une action humaine au bateau, Rimbaud personnifie le navire, qui devient un alter ego du poète. Cette identification accentue l’idée d’un voyage spirituel ou poétique. Le « je » est également celui du poète en quête d’absolu. Il court vers l’inconnu, porté par une énergie créatrice débordante, refusant tout ancrage ou toute limite.

Les « Péninsules démarrées » accentuent cette image de rupture dans une sorte d’effondrement géographique : les « Péninsules démarrées » évoquent des terres arrachées à leur socle géographique, qui se détacheraient des continents pour être emportées par les flots. Cette métaphore représente une libération totale, un rejet des attaches ou des contraintes imposées par le monde terrestre. Ce bouleversement des structures naturelles peut également être lu comme une critique de l’ordre social, politique ou poétique, source de toutes les aliénations de l’individu. Le poète, comme le bateau, revendique une rupture avec les cadres établis pour accéder à une liberté sans bornes, comme le suggère le terme de « tohu-bohu » : ce terme hébreu, tiré de la Genèse dans l’Ancien Testament, désigne le chaos primordial, l’état informe du monde avant la création. Ici, il évoque une désorganisation totale, un bouleversement d’une intensité prodigieuse. Contrairement à une vision négative du chaos, Rimbaud le dépeint ici omme « triomphant ». Ce tohu-bohu est une force libératrice et féconde, qui permet au bateau (et au poète) de s’affranchir de l’ordre pour atteindre un état supérieur de liberté et de création. L’idée que même les « Péninsules démarrées » n’ont pas connu de tohu-bohu plus triomphants illustre une amplification spectaculaire. Ce dépassement des limites témoigne de l’ivresse ressentie par le bateau dans son expérience de liberté totale. Cette exaltation traduit également l’expérience poétique : en abandonnant les cadres traditionnels, le poète s’aventure dans un chaos de sensations et d’images, mais ce chaos est jubilatoire, porteur d’une créativité triomphante.

Cette légèreté reflète l’état d’esprit du poète, qui s’abandonne totalement aux forces naturelles et créatrices, sans crainte ni regret : « Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots ». Cette comparaison du bateau avec un bouchon flottant sur l’eau traduit une absence totale de contraintes. Cette image souligne une nouvelle insouciance et une communion parfaite avec les flots, comme si le bateau s’abandonnait au mouvement libérateur des éléments. La métaphore de la danse traduit une expérience exaltante et joyeuse : le bateau ne lutte pas contre les vagues, mais épouse leur mouvement, symbolisant une acceptation de la liberté absolue, aussi imprévisible soit-elle. La mer apparaît donc comme un espace de violence et de liberté qu’on peut interpréter comme un rejet du passé et des repères terrestres : « Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots ! ». Le poète exprime son indifférence à la sécurité matérielle en qualifiant les lumières des ports si réconfortantes pour les marins d’ « œil niais des falots ». Les falots désignent les lanternes de signalisation maritimes qui guident les bateaux. Qualifiés de « niais », ils incarnent une vision étriquée, une sécurité illusoire, et plus largement, les conventions et les limites du monde adulte. Par opposition, le « bateau ivre » exprime une rupture totale avec ce passé de dépendance et de soumission. Loin de regretter les falots, il les méprise, préférant l’aventure incertaine de la mer infinie.

Hokusai, « La Grande Vague de Kanagawa », c. 1830.
Cette célèbre estampe japonaise représente une immense vague prête à engloutir des bateaux. L’énergie dynamique et l’immensité de l’océan illustrent parfaitement l’idée d’une mer puissante et dominante, que le « bateau ivre » traverse.

Le voyage vers l’inconnu ou la quête de l’infini

Dans la suite du poème, le bateau est emporté par des forces qui échappent à son contrôle. Ballotté par les éléments, il dérive comme un adolescent perdu dans ses envies de liberté et son désir d’émancipation. Ce voyage sans destination claire représente la quête d’un idéal : voyage intérieur à la fois chaotique et libérateur. Mais ce refus de toute destination précise peut aussi symboliser la révolte contre la notion même de but ou de finalité imposée par la société adulte : le bateau perd toute maîtrise de lui-même, à l’image de l’adolescent qui, « plus sourd que les cerveaux d’enfants » (v. 10), rejette la raison et les valeurs classiques, laissant place à une expérience de dérive totale. Cette perte de contrôle peut aussi être vue comme une métaphore du désir de détruire les anciennes structures et de se construire une nouvelle identité plus libre et plus authentique qui l’amène à une véritable rencontre avec l’inconnu : tout au long du poème, le bateau traverse une série de paysages fabuleux et de scènes qui semblent préfigurer le surréalisme. Ce voyage mène le narrateur à des visions hallucinées et déroutantes, où les éléments naturels sont déformés, comme si l’environnement était une projection de l’état mental du poète.

Les paysages visionnaires que parcourt le bateau reflétent l’expérience de déréalisation de l’adolescent révolté qui traverse des mers mythologiques, des décors fantastiques et des scènes totalement oniriques :

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !

J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

Le monde semble se transformer littéralement, comme si la perception de la réalité s’en trouvait modifiée. Cette rupture avec le réel peut symboliser la quête d’une autre réalité, un monde parallèle dans lequel le poète maudit cherche à échapper à l’ordinaire et à s’élever au-dessus de la réalité. Rimbaud crée ainsi une écriture totalement libérée des contraintes classiques grâce à une poésie de la quête et du déchiffrement, mettant en correspondance le réel et l’inconnu . Les métaphores sont débridées, l’imaginaire s’épanouit sans limite. Les sensations visuelles, sonores et tactiles se mêlent et se confondent dans un vertige sensoriel :

J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l’assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D’hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux !

Il y a ici une libération du langage et une volonté d’explorer la poésie sous un angle déroutant et transgressif, en brisant les codes traditionnels et en expérimentant la fusion des sensations. De fait, les synesthésies dans « Le bateau ivre » occupent une place essentielle dans la construction de l’imaginaire poétique. Ce procédé stylistique, qui consiste à associer des perceptions relevant de sens différents (vue, ouïe, toucher, odorat, goût), permet à Rimbaud d’exprimer une réalité intensifiée et visionnaire, en accord avec son idéal poétique formulé dans la Lettre du Voyant. Les synesthésies dans « Le bateau ivre » ne se limitent pas à la description du réel ; elles traduisent une expérience poétique où les frontières entre les sens s’effacent, ouvrant sur une perception élargie et visionnaire :

« J’ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur » (v. 85-86)

Plus le voyage avance, et plus les images deviennent surprenantes, voire incohérentes : fusionnant plusieurs sensations et dépassant les limites de la perception ordinaire pour ouvrir un champ visionnaire. En fusionnant les sens, Rimbaud fait éclater les frontières entre l’homme et la nature, entre le tangible et l’intangible, pour proposer une expérience unique, à la fois exaltante et bouleversante. Par son utilisation du langage et des images, Rimbaud crée un poème qui est tout sauf conformiste : la recherche de la beauté passe ainsi par la rupture, l’excès, l’insoumission :

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d’azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Le poème, par son intensité sensorielle et son langage débridé, incarne parfaitement l’affranchissement des traditions : l’utilisation d’images presque surréalistes et de métaphores surprenantes marque une volonté de renverser les conventions poétiques et de mettre en avant une liberté d’expression totale. Beaucoup d’œuvres surréalistes se sont d’ailleurs inspiré de l’esprit visionnaire et révolutionnaire de Rimbaud : bien qu’il précède ce mouvement, son écriture a profondément influencé les surréalistes qui ont cherché à explorer les méandres de l’inconscient et l’étrangeté du monde dans des paysages où se mêlent abstraction et figuration.

La désillusion et l’échec de la quête

La fin du poème traduit une forme de désenchantement : après avoir vécu des expériences extrêmes et eu des visions extraordinaires, le bateau se retrouve comme usé, vidé : « Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes./Toute lune est atroce et tout soleil amer ». Il aspire à une forme de repos ou de retour à une simplicité perdue. Faut-il y voir l’échec partiel de la quête de l’absolu ? La liberté totale entraîne une forme d’épuisement et de solitude.

Après l’immensité des flots océaniques et la liberté des espaces infinis, le poète évoque une « eau d’Europe », cadre beaucoup plus restreint et contingent. Cette évocation marque une rupture avec la grandeur et l’exaltation qui caractérisaient les strophes précédentes. Ce désir d’une « eau d’Europe » peut être interprété comme un aveu de fatigue ou de lassitude face à l’infini. L’expérience du voyage initiatique, si exaltante au départ, finit par confronter le poète à la réalité plus déceptive et plus sombre de la « flache noire et froide » : la « flache » dans le dialecte des Ardennes et du nord de la France évoque une simple flaque d’eau, une petite mare, par opposition à l’immensité des océans. Ce choix souligne un retour à une expérience terre-à-terre, loin des horizons grandioses. De même, les adjectifs « noire et froide » confèrent une atmosphère lugubre et désenchantée à la scène. L’eau ici, n’a plus rien de vivifiant ni de lumineux : elle est obscure, sombre, et désolante, symbole d’une désillusion ou d’une mélancolie profondes.

« Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche/Un bateau frêle comme un papillon de mai »…
(Illustration : © BR, janvier 2025)

Du « bateau ivre » au « bateau frêle »…

Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

La fin du texte est profondément mélancolique : cet « enfant accroupi, plein de tristesse », est une image autobiographique qui renvoie au jeune Rimbaud lui-même, rêveur et solitaire, en quête d’évasion dans un monde étriqué qui le limite. La mention explicite de la « tristesse » contraste fortement avec les moments de jubilation vécus dans les strophes précédentes. Elle marque une impression d’échec et d’incomplétude, comme si le rêve d’ivresse échouait à se matérialiser dans le monde réel : l’émerveillement de l’ailleurs fait place à une mélancolie douloureuse qui pourrait aussi être interprétée comme une réflexion sur les limites de l’art lui-même et de sa capacité à atteindre une vérité pure et totale.

Toute cette scène suggère également une forme de regret ou de nostalgie : après avoir exploré les horizons les plus lointains, le poète revient à un souvenir d’enfance empreint de désillusion. Le « bateau frêle » et le « papillon de mai » expriment ici la fragilité des rêves. Le « bateau frêle » contraste avec le « bateau ivre », audacieux et triomphant des premières strophes. Il représente une fragilité, voire même une impuissance face aux rêves d’évasion. De même, la comparaison avec un « papillon de mai » accentue la fragilité et le caractère quelque peu illusoire du rêve. Le papillon est une créature délicate, symbole de beauté passagère, mais aussi de vulnérabilité face aux éléments.

L’enfant qui lâche ce bateau dans la « flache noire et froide », c’est bien sûr Rimbaud lui-même, qui accomplit un geste empreint de simplicité et de tristesse. Ce bateau miniature pourrait connoter les rêves de voyage et d’évasion du jeune poète, ici rétrécis à un cadre insignifiant, éphémère et désenchanté. Ces derniers vers expriment un moment de recul et de mélancolie : après les exaltations maritimes, le retour à une scène d’enfance intimiste symbolise un profond désenchantement, mais aussi une méditation douloureuse sur la fragilité des rêves. Cette « eau d’Europe » marque ainsi un contraste saisissant avec les horizons infinis explorés plus tôt, et rappelle que cette poétique de l’insoumission qui est à la base de l’œuvre de Rimbaud a un prix : celui de la perte d’innocence dans un contexte de crise de l’écriture elle-même.

© Bruno Rigolt, janvier 2025.

Lien entre la « Lettre du Voyant »

et « Le Bateau Ivre » de Rimbaud

Écrite en 1871 par Arthur Rimbaud à l’âge de 16 ans, la « Lettre du Voyant » est un texte fondateur dans lequel Rimbaud prône la rupture avec les conventions établies et expose sa vision novatrice de la poésie et du rôle du poète. Ce texte s’articule autour de l’idée que le poète doit devenir un « voyant » grâce à un « dérèglement de tous les sens ». Rimbaud y évoque une quête de l’absolu, une exploration de territoires inconnus à travers la poésie :

« Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.
Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. »

Cette poétique de l’insoumission s’incarne pleinement dans son poème « Le bateau ivre », écrit peu de temps après. Les deux œuvres se nourrissent mutuellement et sont profondément liées.

Le poète voyant : une quête d’absolu

Dans la « Lettre du Voyant » Rimbaud affirme que le poète doit « se faire voyant », c’est-à-dire percevoir des vérités et des réalités qui échappent à l’homme ordinaire. Ce culte d’un renouveau métaphysique et mystique, amplifié par le refus de la vie quotidienne dans son conformisme banal, passe par un « dérèglement de tous les sens », c’est-à-dire une rupture avec les conventions et une immersion totale dans l’inconnu. Le poète-voyant n’est pas un simple artisan des mots, mais un être capable de capter l’invisible et de transmettre des visions nouvelles. Rimbaud écrit à ce titre : « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens […]. Car il arrive à l’inconnu ! ». Dans « Le bateau ivre », cette émancipation est symbolisée par le bateau qui se libère de ses haleurs (l’autorité, la tradition) et navigue librement : le bateau représente ainsi symboliquement le poète en quête d’absolu : abandonné à lui-même et aux forces naturelles, il devient un symbole de la liberté créatrice.

Tout comme le « poète voyant », le bateau s’éloigne des voies tracées (les règles, les conventions), partant à la découverte de territoires inexplorés, qu’ils soient géographiques, spirituels ou poétiques, comme le suggère ce vers célèbre : « Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir ! ». 

Le bateau, dans son voyage hallucinatoire, accède à des visions qui dépassent l’entendement humain, illustrant l’idée que la poésie doit explorer l’inconnu et briser les limites du langage et de la perception. Dans la « Lettre du Voyant », Rimbaud rejette violemment la poésie classique et les normes bourgeoises : l’auteur dresse en effet un sévère réquisitoire contre les adeptes de la poésie traditionnelle, accusés de n’être que des « versificateurs ». Rimbaud parle même « d’innombrables générations idiotes ». Pour lui, le poète doit rompre avec les traditions et inventer un langage nouveau, capable de traduire l’indicible. Dans « Le bateau Ivre », le bateau s’affranchit des contraintes : il n’a plus de capitaine ni de gouvernail, symbolisant un rejet des cadres imposés, qu’ils soient sociaux ou littéraires.

Cette révolte contre les conventions est indissociable de la vision rimbaldienne de la poésie comme exploration radicale : « aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes, »archipels sidéraux », « incroyables Florides / Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux / D’hommes ! » ou même « l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs » : ces dérèglements de la réalité traduisent une perception exacerbée du monde, au-delà de ce qui est accessible à l’homme ordinaire. La dérive du bateau devient donc une allégorie, à la fois exaltante et périlleuse, de la liberté absolue. La poésie représente ainsi un espace infini et anarchique, où se mêlent des images surréalistes et des sensations extrêmes :

« J’ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur : »

Le bateau, à l’instar du poète, devient un explorateur de l’inconnu en quête d’un au-delà, d’une vérité transcendante. Cette recherche de l’abstraction, de l’ambiguïté, du mystère, amène à une forme d’idéalisation stupéfiante : les images, par leur hermétisme même, concourent à la création d’un univers dont le contenu réel nous échappe. Ce n’est pas un paysage maritime qui est représenté, mais un paysage pensé, façonné par le mystère de la langue, né d’une véritable fusion de l’homme et de l’univers, permettant de suggérer peu à peu, et conférant au réel force et pureté. Dans la « Lettre du Voyant », ce dérèglement de tous les sens est un processus nécessaire pour le poète, qui doit s’ouvrir à des perceptions nouvelles, même si cela implique une souffrance ou une perte de contrôle. Rimbaud insiste sur le fait que cette quête est à la fois exaltante et dangereuse. Elle demande de rompre avec la rationalité et d’accepter l’expérience de l’extrême. Rimbaud écrit à ce titre :

Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu !

« Le bateau ivre » est donc une véritable mise en pratique des idées exposées dans la « Lettre du Voyant ». Le poème illustre la quête d’absolu par le « dérèglement de tous les sens », la révolte contre les conventions, et l’exploration de l’inconnu. Arthur Rimbaud est ainsi l’incarnation même de l’émancipation créatrice grâce au pouvoir de suggestion qui confère à la poésie une dimension presque surnaturelle et prophétique. Brève mais révolutionnaire, son œuvre se distingue, au-delà de ses provocations verbales, par sa volonté de briser les conventions, de réinventer la langue et de proposer une « poétique de l’insoumission », libérée de toutes les normes traditionnelles.

Comprendre l’intitulé du parcours
« Émancipations créatrices »

dans l’œuvre de Rimbaud

La notion d’émancipations créatrices désigne l’idée selon laquelle un auteur s’affranchit des normes, des contraintes ou des traditions pour créer librement et de manière innovante. Cette idée est particulièrement pertinente dans l’œuvre de Rimbaud, où elle incarne la quête de liberté d’expression, de renouvellement des formes et de remise en question des cadres établis. Chez Rimbaud, l’émancipation créatrice implique un rejet des modèles conventionnels (cf. la « Lettre du voyant »), L’acte créateur est ainsi présenté comme une revendication de la subjectivité, de la différence et de l’altérité : « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. » (« Lettre du voyant ») ; « Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir ! » (« Le bateau ivre », v. 32)
Cette dimension subversive débouche sur la recherche d’un idéal : quêteuse d’absolu et d’indéchiffrable, la poésie de Rimbaud s’inscrit ainsi dans une quête visant à transcender les limites de l’expérience humaine ou artistique : l’écriture poétique devient une manière de « voir » au-delà des apparences.

Pour le Bac, je vous conseille d’approfondir ces thématiques :

  • La libération des formes poétiques : même si Rimbaud utilise souvent le sonnet, il en rejette fréquemment les structures rigides (sonnets irréguliers). 
  • L’émancipation par la langue : montrez comment Rimbaud a cherché à réinventer l’expression poétique, par exemple en s’écartant des cadres classiques pour façonner une poésie visionnaire et novatrice, même si elle reste traditionnelle dans la forme.
  • La création de néologismes et d’images nouvelles : Rimbaud invente des mots, explore des associations d’idées audacieuses et forge des métaphores inédites.
  • Le langage visionnaire : dans sa célèbre « Lettre du Voyant » (1871), Rimbaud explicite son projet poétique : le poète doit « se faire voyant » par un « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». Rimbaud vise une poésie qui transcende le réel pour atteindre une perception totale, presque mystique.
  • L’exploration de l’inconnu : Rimbaud s’affranchit des thèmes poétiques traditionnels pour explorer des sujets audacieux et transgressifs (cf. par exemple « Vénus anadyomène »)
  • La révolte sociale et spirituelle : dans des poèmes comme « Le Mal », il dénonce les inégalités sociales, la guerre, et les hypocrisies religieuses. Il remet en question les valeurs de son époque, rejetant les dogmes et célébrant une liberté totale.
  • L’exploration de l’absolu : son écriture s’aventure dans les limites de l’inconnu, du rêve et de l’imaginaire. « Le Bateau Ivre » est une odyssée poétique où le poète, libéré des contraintes, dérive vers des territoires inexplorés, symboles de l’infini.
  • L’introspection psychologique : Rimbaud ne se limite pas à décrire le monde extérieur ; il plonge dans les méandres de la conscience, explorant ses propres émotions et visions. Dans la « Lettre du voyant », il affirme : « Car Je est un autre. […]. Si les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n’aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ! […]. La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. » Tout d’abord, en affirmant que « je est un autre », Rimbaud fortement influencé par la découverte de l’inconscient, pense que le poète doit s’ouvrir à la richesse du monde ainsi qu’à la complexité du « moi ».
  • Le refus des institutions : Rimbaud est devenu le symbole de l’artiste qui refuse de se soumettre, vivant pour créer selon ses propres envies. Cet idéal de liberté prend sa source dans le refus du monde étriqué qui caractérise le Second Empire, et trouve sa résolution dans la création poétique d’un autre monde, à l’opposé des cadres imposés par la société et les conventions littéraires.
  • La célébration du vagabondage : plusieurs poèmes célèbrent les plaisirs modestes mais intenses de l’adolescence et du vagabondage : « Sensation » ; « Au Cabaret-Vert » ; « Ma Bohème »).
  • Le refus de l’école et de la famille : très jeune, il fuit la maison familiale et rejette l’autorité parentale. Ses fugues, notamment en Belgique et à Paris, sont autant de tentatives d’évasion de la société bourgeoise de Charleville. Après son aventure poétique, il devient marchand en Afrique, voyageant et découvrant des réalités totalement étrangères à sa vie d’adolescent.
  • Le rejet des institutions littéraires : Rimbaud ne cherche pas à entrer dans les cercles littéraires traditionnels et méprise l’idée de « carrière », comme en témoigne son abandon de la poésie à seulement 21 ans.
  • Le refus des normes religieuses, politiques et sociales : dans des poèmes comme « Le Mal » ou « Le Châtiment de Tartufe », Rimbaud s’en prend à l’Église, dénonçant son hypocrisie et son rôle dans la domination sociale. Beaucoup de textes critiquent également ouvertement la justice (« Bal des pendus », « Rages de Césars », « L’Éclatante Victoire de Sarrebruck » ; « A la musique » : satire des bourgeois et de leur étroitesse d’esprit).
  • Rimbaud, précurseur des avant-gardes : voulant faire du rêve et du « dérèglement de tous les sens » les concepts clés du processus de création, Rimbaud, par ses innovations formelles et thématiques, annonce le surréalisme (André Breton considérait Rimbaud comme un modèle). Son influence se retrouve également dans la musique, les arts visuels et la littérature moderne (Rimbaud influencera par exemple les écrivains de la Beat Generation, tels que Jack Kerouac ou Allen Ginsberg qui ont vu en lui une figure emblématique de la quête de liberté absolue, d’une écriture débridée et de la transgression des normes établies. 

© Bruno Rigolt, janvier 2025.

Annexe 1 : « Le bateau ivre »

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J’étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots !

Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sûres,
L’eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l’amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !

J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l’assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D’hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d’eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants.
– Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d’ineffables vents m’ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu’une femme à genoux…

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d’azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l’Europe aux anciens parapets !

J’ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
– Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles,
Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j’aille à la mer !

Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

Annexe 2 : « Le bateau ivre » lu par Gérard Philipe

  • Je vous recommande d’écouter très attentivement la lecture magistrale qu’a effectuée Gérard Philippe de ce poème :

Annexe 3 : Arthur Rimbaud : Lettre à Paul Demeny, datée du 15 mai 1871, dite « Lettre du voyant » (extraits)

À Douai. Charleville, 15 mai 1871.

J’ai résolu de vous donner une heure de littérature nouvelle. […]

— Voici de la prose sur l’avenir de la poésie -Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque ; Vie harmonieuse. — De la Grèce au mouvement romantique, — moyen-âge, — il y a des lettrés, des versificateurs. D’Ennius à Théroldus, de Théroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d’innombrables générations idiotes : Racine est le pur, le fort, le grand. — On eût soufflé sur ses rimes, brouillé ses hémistiches, que le Divin Sot serait aujourd’hui aussi ignoré que le premier venu auteur d’Origines. — Après Racine, le jeu moisit. Il a duré deux mille ans ! […]

Car Je est un autre. […]. Si les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n’aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ! ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s’en clamant les auteurs ! […]

La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend.

Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu !

Entraînement à l’épreuve de Culture générale et expression du BTS. Sujet type : Paris, capitale de la comédie sociale ? CORRIGÉS

BTS 2024 « Paris, ville capitale ? »
Entraînement n°1 : synthèse + écriture personnelle
→ CORRIGÉS

Pour accéder au corpus, cliquez ici.


① La synthèse

Les mots clés du corpus

  • Arrivisme : souvent associé à une volonté de réussite à tout prix. l’arrivisme désigne une attitude ou une tendance à rechercher avidement le succès social ou professionnel, souvent au détriment de valeurs morales ou de considérations éthiques. Cette forme d’ambition impliquant le désir de pouvoir, de richesse ou de prestige, a largement été mise en lumière par le roman d’apprentissage au XIXème siècle. Georges Duroy, le héros du roman Bel-Ami de Maupassant (1885) est le type même de l’arriviste : égocentrique, opportuniste et séducteur.
  • Segmentation sociale : la segmentation sociale désigne la division de la société en différents groupes ou catégories en fonction de divers critères tels que le revenu, l’éducation, la profession, l’origine ethnique, etc. En sociologie, l’étude de la segmentation sociale permet de mieux comprendre les inégalités et les tensions qui peuvent exister au sein d’une société. Dans le corpus, tous les documents insistent à des degrés divers sur l’idée de segmentation sociale. Par exemple, La Bruyère observe et décrit les différentes strates de la société parisienne. Il analyse avec beaucoup de finesse et d’acuité les comportements, les valeurs et les caractéristiques des différents groupes sociaux, mettant en lumière les distinctions entre les classes sociales, les habitudes et les modes de vie (y compris face au monde rural). De même, l’exploration de la segmentation sociale dans les textes d’Olivier Py, de Balzac ou dans le tableau de Caillebotte en font des observateurs aigus et critiques de la société de leur temps, offrant ainsi une analyse profonde des tensions et des dynamiques qui structurent les relations sociales.
  • Comédie sociale : la comédie sociale renvoie aux faux-semblants. Paris est ainsi un miroir tendu qui nous invite à dépasser les apparences pour mieux démasquer les faux-semblants de la société. Le corpus propose une réflexion sur les rapports humains, les normes et les codes sociaux (façons de s’habiller, de parler, de se comporter, etc.). Pour Balzac, Olivier Py, et bien entendu La Bruyère, nul doute que la société parisienne est une sorte de théâtre où chacun « joue un rôle ». La mission de l’écrivain est précisément de faire tomber les masques et de mettre à jour le simulacre de « l’inhumaine comédie »… Cette problématique est très riche dans la mesure où elle met à jour notre rapport aux autres et à nous-même. Dans une société du spectacle et de l’apparence, tout ne serait-il qu’illusion au détriment de la vérité ? Divertissement au sens pascalien, et mise en scène de soi au détriment de la morale. Comme on le voit, le terme comédie nous renvoie, au monde du simulacre et des apparences.

Présentation du corpus
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  • Document 1. Olivier Py est un homme de théâtre français né le 24 juillet 1965 à Grasse. Acteur, metteur en scène et dramaturge, il a été directeur du Festival d’Avignon de 2013 à 2019 et dirige le Théâtre du Châtelet depuis 2023. Publié en 2016 aux éditions Actes Sud, Les Parisiens se présente comme un roman « balzacien » : Aurélien, le personnage principal, sorte d’arriviste séducteur du XXIème siècle, veut subjuguer la capitale par le théâtre. Avide de plaisirs et de reconnaissance, il se lance avec arrogance à la conquête du Tout-Paris culturel et politique. Sur sa route, il croise une galerie de personnages violents socialement, moralement ou physiquement dans un monde cynique où tout n’est que simulacre et représentation. Le passage à étudier se situe au début du livre.
  • Document 2. Gustave Caillebotte (1848-1894) est un peintre impressionniste français dont les peintures urbaines très réalistes, mettent en scène des moments de la vie quotidienne à Paris. La toile montre un homme élégant, coiffé d’un chapeau haut-de-forme et en habit. Vu de dos, il contemple depuis son balcon le boulevard Haussmann, symbole du développement économique sous la IIIème République. Ce célèbre boulevard abrite toujours plusieurs grands magasins parisiens renommés, comme les Galeries Lafayette et le Printemps, qui ont contribué à renforcer l’association du boulevard avec la bourgeoisie d’affaires et le commerce haut de gamme.
  • Document 3. Rédigé entre 1837 et 1843, Illusions perdues est un roman majeur d’Honoré de Balzac, appartenant au cycle de La Comédie humaine, vaste ensemble de récits donnant à voir des personnages en quête de gloire et de réussite, mais dont les illusions se heurtent aux dures lois du monde social. Illusions perdues raconte l’histoire d’un jeune provincial désargenté, Lucien de Rubempré, ayant quitté Angoulême dans l’espoir de faire fortune à Paris grâce à son talent littéraire. Dans ce passage, le jeune homme écrit à sa sœur pour l’informer de sa nouvelle vie…
  • Document 4. Brillant moraliste du XVIIème siècle, Jean de La Bruyère a consacré sa vie à la rédaction d’une œuvre unique : Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle. Plusieurs fois réédité du vivant de son auteur, l’ouvrage comporte de nombreuses réflexions sociologiques réparties en seize livres. Dans le livre VII intitulé « De la ville », La Bruyère met en scène un homme du monde propulsé dans Paris. C’est l’occasion pour l’auteur de s’en prendre vivement à la capitale, vaste théâtre divisé en microsociétés éphémères et superficielles dont les habitants agissent comme des acteurs faits seulement pour la parade. 

Le tableau comparatif

Appelé également « tableau de confrontation » ou « tableau synoptique » parce qu’il donne une vue d’ensemble des différentes idées pour chacun des documents, le tableau comparatif comporte autant de colonnes que de documents. Ce tableau doit mettre en relief les arguments principaux et/ou les exemples à valeur illustrative.

Olivier Py
Roman
2016
Gustave Caillebotte
Tableau (huile sur toile)
1880
Honoré de Balzac
Roman
1843
Jean de La Bruyère
Essai
1688
voir le texte voir le texte  voir le texte  voir le texte
⇒ Vision d’une capitale dominée par l’arrivisme, les apparences et la segmentation des relations sociales.
⇒ L’homme au balcon est représenté comme un spectateur détaché de la vie urbaine qui se déroule en contrebas. ⇒ En quête de reconnaissance et de succès, le héros s’illusiuonne sur la réalité impitoyable de la vie parisienne. ⇒ À travers Paris, La Bruyère décrit l’être humain, ses passions, ses contradictions, ses faiblesses.
1. Paris, ville de tous les contrastes (« d’acier et d’or, luxe et pourriture, désenchantement ou exaltation, éveil et songe »)
2. Arrivisme du héros (« Réussir, vaincre, triompher ! » ; « envie insatiable de victoire » ; « féroce ambition » ; « Paris est fait pour que
les arrivistes arrivent… »
3. Fausse conscience du personnage « se jouant à lui-même la comédie de sa propre béatitude »
4. La capitale abrite une diversité et une richesse culturelle comparable à celle d’un bestiaire : la vie urbaine et sociale y est foisonnante.
5. Paris est une échappatoire à la mort (« Oublier la mort…Ridiculiser la mort… Chacun combat la mort comme il peut » ; « mithridatisation de la mort »).
6. Portrait de différents personnages dont les activités oscillent entre l’hédonisme, le paraître, la corruption et l’échec social. Paris apparaît comme le lieu de l’individualisme, de la solitude, de l’anonymat, de la segmentation des rapports sociaux, etc.
7. A travers tous ces personnages, le texte interroge la relation entre l’être et le paraître : à défaut de relations sociales véritables, seule compte « une vie parisienne faite d’inutilités et de paillettes ».
8. Homme élégant vu de dos qui prend la pose et contemple de son balcon le boulevard Haussmann, symbole des transformations sociales et politiques.
9. Attitude hautaine du personnage qui est « parvenu » socialement (symbole de l’ascension sociale du héros qui s’apprête à sortir .
10. Paris est le lieu de la société du paraître et de l’argent.
11. Importance du lieu : On peut voir dans l’hausmannisation de la capitale, notamment la construction des Grands boulevards, la création d’un espace dédié au spectacle et au paraître comme le suggère la peinture de cet élégant.
12. Théâtralisation de toute la scène : le balcon devient un espace de figuration pour le « personnage-acteur ».
13. « Paris sans le peuple » qui n’apparaît pas dans le tableau. La peinture semble traduire la déshumanisation en marche des grandes métropoles modernes dominées par l’anonymat et la segmentation des rapports sociaux.
14. Image du « gouffre » et des contrastes sociaux : le luxe côtoie l’extrême pauvreté. Le texte ouvre à de nombreux questionnements : Paris est une ville propice au changement, pour le meilleur ou pour le pire.
15. Le héros insiste sur ses déboires financiers : bien que menant une vie misérable, il s’illusionne sur son destin . L’auteur ironise sur la vocation artistique du héros qui rêve de rencontrer le beau monde et les grands esprits de son temps.
16. A l’opposé de la province qui ne semble ouvrir aucune perspective, Paris est la ville de tous les possibles : le héros est littralement hanté par le désir narcissique de parvenir (« Si le présent est froid,, nu, mesquin, l’avenir est bleu, riche et splendide. » ; « les écrivains deviennent riches, et je serai riche » ; « Là seulement se cultive la gloire, et je connais les belles récoltes qu’elle produit aujourd’hui. »)
17. La vison réelle de la capitale laisse place à une vision fantasmée où Paris cède sa place au parisianisme, au paraître et à la superficialité (importance des lieux de comédie sociale : théâtres, cafés…).
18. « effrayante rapidité » de la vie parisienne, à la fois séduisante et aliénante : exaltation du héros face à l’activité intense que permet Paris face à la province, symbole de stagnation.
19. Tout se joue à Paris : la ville apparaît comme le centre du monde (« L’on se donne à Paris… comme un rendez-vous public »).
20. La vie parisienne » est brillante et superficielle (spectacles de toutes sortes, plaisirs nocturnes). Mouvements incessants et vains des parisiens pour « paraître » : « c’est là précisément qu’on se parle sans se rien dire »… « l’on gesticule et l’on badine »… « l’on passe et l’on repasse ».
21
. Paris est un lieu de segmentation sociale (« La ville est partagée en diverses sociétés… »).
22. Accusée d’abolir les besoins de l’être, la société parisienne est celle de la vacuité exacerbée et du vide intérieur (« un peuple qui cause, bourdonne, parle à l’oreille, éclate de rire, et qui retombe ensuite dans un morne silence »).
23. Opposition Paris/monde rural : tournée vers le paraître et la vanité exacerbée, la vie parisienne a a perdu tout contact avec les choses de la nature.
24. On mène à Paris une vie anti-naturelle où domine l’esthétique de l’excès et du simulacre (satire des magistrats qui jouent une sorte de comédie sociale).

Conseil : même si le tableau comparatif est évidemment important pour réaliser votre plan, n’hésitez pas, dès les premiers repérages, à identifier spontanément des informations essentielles (quoi ? comment ? pourquoi ?) et à exploiter un plan-type au moment de formuler vos axes : cela vous aidera à percevoir de façon plus globale et spontanée la structure du corpus ainsi que le mode de relation entre les documents.

Le plan de la synthèse

1) Paris, centre du monde et des ambitions personnelles

  • La ville de tous les possibles : rêve et ambition sociale [2, 9, 15, 16, 19]
  • Paris, ville de tous les contrastes  : richesse et précarité [1, 6, 13, 14] ; segmentation sociale [4, 13, 14, 21]

2) Vie parisienne et superficialité : le paraître comme échappatoire

  • De l’être au paraître : Paris, capitale de la comédie sociale [3, 5, 10-12, 17, 20] et symbole de l’anti-province : vacuité exacerbée [4, 5, 16, 22, 23] 
  • Du triomphe de l’individualisme à la solitude et au vide intérieur [2, 7, 18, 22-24]

La synthèse rédigée

[ Introduction]

____Pôle économique, politique et culturel de rayonnement et d’influence planétaire, Paris brille de tous les prestiges que lui confère son statut de ville-monde. Le corpus qui nous est proposé infléchit pourtant cette vision idyllique en interrogeant de façon très critique la fascination qu’exerce Paris. Composé de quatre documents de genres variés (extraits d’essai, de romans, reproduction d’un tableau) publiés entre le XVIIème siècle et notre ère, le dossier explore les revers de l’ambition parisienne. Deux visions de la capitale se dégagent des documents proposés. D’un côté celle d’une ville au dynamisme intellectuel et culturel très affirmé, propice à l’ambition et à la segmentation sociale ; de l’autre une capitale fortement marquée par la comédie sociale, la superficialité et le paraître.

[ I. Paris, centre du monde et des ambitions personnelles]

____Par sa diversité, son effervescence et son rayonnement, Paris apparaît d’emblée comme une métropole culturelle dynamique et fascinante. « Monter à la capitale », c’est d’abord l’espoir d’une ascension sociale comme en témoignent les deux extraits de romans. Pour Lucien de Rubempré, le jeune héros d’Illusions perdues (1843), Paris est la capitale de tous les possibles. Balzac décrit à ce titre l’irrépressible désir de réussite et de gloire littéraire de ce jeune provincial romantique soumis aux mirages de l’illusion : dans la lettre qu’il écrit de Paris à sa soeur restée à Angoulême, le héros s’illusionne en effet sur son destin. L’auteur ironise sur la vocation artistique de ce personnage misérable qui rêve de vêtements à la mode et de restaurants chics dans l’espoir de croiser le beau monde et les esprits éclairés de son temps. S’inscrivant dans cette veine balzacienne, Olivier Py choisit également la capitale comme cadre de son roman. Aurélien, le personnage principal des Parisiens (2016) est littéralement hanté par le désir narcissique de parvenir. Avide de plaisirs et de reconnaissance, il se lance avec arrogance à la conquête d’un monde où l’argent et l’ambition sociale rêgnent en maître.
____Le tableau de Gustave Caillebotte « Homme à son balcon » (1880) semble résumer à lui seul les rêves de gloire et d’ascension décrits par les romans : la toile présente un homme élégant vu de dos qui prend la pose et contemple de son balcon le boulevard Haussmann, symbole des transformations sociales et politiques sous le Second Empire. Archétype de la réussite, le personnage illustre l’arrivisme d’une société projetée dans une course effrénée du pouvoir et de l’argent. En témoigne l’importance du lieu : le boulevard Haussmann. L’attitude hautaine du personnage qui est « parvenu » socialement contribue à renforcer l’association du boulevard avec la bourgeoisie d’affaires et la dynamique de l’enrichissement. A ce titre, la théâtralisation de la scène voulue par Caillebotte interroge le spectateur : tout semble en effet spectacle et mise en scène ; le balcon devenant un espace de figuration pour le « personnage-acteur ». Cette remarque prend tout son sens dans l’extrait des Caractères de La Bruyère (1688) : comme le dit l’auteur, « l’on se donne à Paris », suggérant que tout s’y joue et que la ville est le centre d’un monde des apparences, rongé par les appétits de pouvoir.

____Dès lors, il n’est guère étonnant que le corpus mette l’accent sur les contrastes sociaux. En contrepoint de l’opulence que donne à voir le tableau de Caillebotte, le petit garni de Lucien de Rubempré devient le cadre illusoire de l’ambition et des rêves du jeune provincial. Vivre à Paris, c’est pour le personnage l’espoir de la réussite et de la gloire, au côté des grands écrivains et des illustres penseurs. Pourtant il vit misérablement et sa naïveté le condamne à n’être que le faire-valoir d’une société qui l’écrase de sa toute-puissance. Comment d’ailleurs ne pas voir dans l’atitude hautaine du personnage de Caillebotte le symbole de ce monde de parvenus où seule compte la comédie des apparences, c’est-à-dire les signes de la réussite ? Le monde de Paris prend en effet tout son relief dans la confrontation qui l’oppose à celui de la province, que montre très bien Balzac : incapable de déchiffrer les codes sociaux et de percevoir le pouvoir de l’argent, son héros semble irrémédiablement condamné. Pareillement, Olivier Py et La Bruyère reviennent longuement sur les contrastes sociaux qui marquent la capitale, partagée entre l’extrême richesse et la misère.
____De même, le fait que le peuple n’apparaisse pas dans le tableau de Caillebotte, suggère que la réussite a pour corollaire la cruelle indifférence de l’homme d’argent. La peinture semble ainsi traduire la déshumanisation de la métropole, très bien montrée par Olivier Py et surtout La Bruyère qui fait porter ses observations sur l’anonymat et la segmentation de Paris. Fortement empreint de darwinisme social dans le roman d’Olivier Py, l’arrivisme va de pair avec le désir frénétique de jouissance et de possession matérielle. Cette image de perdition est parfaitement illustrée par le texte de Balzac qui fait de Paris un « gouffre » en  proie aux influences les plus délétères. Enfin, s
i pour Olivier Py, la capitale abrite une diversité et une richesse culturelle comparable à celle d’un « bestiaire merveilleux », c’est pour dénoncer ironiquement un monde de personnages dont les activités oscillent entre l’hédonisme, le paraître, la corruption et l’échec social. Paris apparaît ainsi comme le grand théâtre d’un monde en mutation qui subordonne tout à l’ambition et à l’argent. Monde dominé par l’individualisme, la solitude, l’anonymat et la segmentation des rapports sociaux, 

[ II. Vie parisienne et superficialité : le paraître comme échappatoire]

____En outre, le corpus fait de Paris le lieu d’une société où le paraître prime l’être. Jeunes et beaux, les héros de Balzac et d’O. Py mettent l’accent sur l’apparence : la lettre qu’envoie le jeune Lucien à sa sœur est en effet un modèle de narcissisme. Tourné vers le paraître, le héros se complet dans une vision artificielle de l’existence. Cet aspect est encore plus poussé chez Olivier Py : à la fausse conscience du personnage « se jouant à lui-même la comédie de sa propre béatitude » répondent les portraits des parisiens, où dominent l’anonymat et la vanité des convenances. L’auteur va même jusqu’à faire de ce monde de dissimulation une échappatoire à la mort, comme si les gens cherchaient à éviter de penser à leur propre finitude en s’immergeant dans des activités ou des expériences qui les distraient de cette réalité inéluctable. De même, l’exacerbation des valeurs matérialistes dans le tableau de Caillebotte et l’insistance sur le paraître sont à mettre en relation avec la vie parisienne brillante et superficielle décrite par La Bruyère qui insiste avec force sur les mouvements incessants et vains des parisiens pour « paraître ».
____Cette « effrayante rapidité » de la vie parisienne, à la fois séduisante et aliénante, est particulièrement bien montrée dans le texte de Balzac qui insiste sur l’exaltation du héros devant l’activité intense que permet Paris face à la province, symbole de stagnation et de déclin. La vison réelle de la capitale laisse place à une vision fantasmée marquée par le parisianisme, le paraître et la superficialité : en témoigne la fascination du jeune Lucien pour les cafés ou les théâtres. Dans le même ordre d’idées, La Bruyère revient longuement sur la misère morale d’une humanité marquée par la vanité, l’inauthenticité et qui a perdu tout contact avec les choses de la nature. Pour les deux auteurs, Paris est donc le symbole de l’anti-province : son effervescence offre certes un spectacle fascinant mais elle est aussi le miroir pessimiste d’une société individualiste et sans repères : notamment dans Les Caractères, la stigmatisation de la capitale va de pair avec la critique du libertinage. Face au naturel et à la simplicité de la campagne, Paris devient ainsi le miroir grossissant et caricatural d’une humanité en proie à la décomposition du corps social.

____ Le dossier met enfin particulièrement en valeur les crises morales subies par la société depuis le XVIIème siècle jusqu’à notre monde le plus contemporain, en passant par la Révolution industrielle en même temps qu’il reprend le mythe fécond de la ville, lieu de tous les possibles et de toutes les tentations, lieu complexe qui allie les vertus de la réussite et les dérives de l’arrivisme. A la fois humain et inhumain, Paris devient ainsi le lieu initiatique des contradictions et des faiblesses de la société toute entière. Symbole de la fragmentation sociale et de la dissolution des repères fondamentaux notamment chez La Bruyère, Paris semble marquée par le déracinement et la perte des identités qui constituaient la stabilité de la société : cet amer constat se retrouve dans tous les documents du corpus. Chez Balzac et Olivier Py, l’idéal du mérite personnel est remplacé par l’arrivisme. De même La Bruyère montre qu’on mène à Paris une vie anti-naturelle qui entraîne la disparition des valeurs au profit d’un monde où domine l’esthétique de l’excès et du simulacre. Le texte dénonce ainsi une véritable « comédie humaine », au sens balzacien du terme.
____Accusée d’abolir les besoins de l’être, la société parisienne serait donc celle de la vacuité exacerbée et du vide intérieur. Si Olivier Py s’attarde sur la diversité et la richesse culturelle de Paris, c’est pour en questionner le sens. Confronté au vide métaphysique, son héros cherche, dans un mouvement de dépassement, à se déifier lui-même pour atteindre la réussite et la victoire. Tout l’extrait met à nu le nihilisme d’une société écrasée par le trop plein des choses et la présence proliférante des biens de consommation dans un monde en crise, confronté au vide existentiel ; monde en archipel que décrit parfaitement La Bruyère où personne ne croit à rien et cherche encore à donner un sens à l’absence de sens. Comme nous le comprenons, le dossier interroge la relation entre l’être et le paraître, notamment la manière dont les individus façonnent leur représentation pour correspondre à ce qu’ils pensent être attendu d’eux : à défaut de relations sociales véritables, seuls comptent le simulacre et la comédie des apparences. En témoignent ces propos sans appel d’Olivier Py qui résument le corpus : « une vie parisienne faite d’inutilités et de paillettes ».

[Conclusion]

____Au terme de ces analyses, Paris apparaît bien comme la « capitale des capitales », mêlant étroitement deux aspects qui vont de la fascination au désenchantement. Mais si elle est présentée dans le dossier comme le symbole de l’ambition, de la cupidité, voire de la fragmentation des classes sociales ou de la comédie des apparences, il n’en demeure pas moins que la ville-lumière suscite un véritable mythe : celui d’une capitale emblématique et inspirante abritant d’éternels fantasmes à la croisée de la réalité sociale et des stéréotypes, de l’histoire et des rêves…

© Bruno Rigolt, mars 2024


② Le sujet d’écriture personnelle

  • À la différence de la synthèse qui exige une stricte neutralité, vous devez clairement affirmer votre opinion.
  • Convaincre et persuader… Quel que soit le type de sujet, il s’agit de proposer des pistes de réflexion. Pensez à mettre en valeur votre démarche argumentative : vos arguments doivent toujours être illustrés par un ou plusieurs exemples tirés du du corpus, des œuvres étudiées pendant l’année et/ou de votre culture générale (littérature, arts, actualité…).

➤ Sujet :
Le narrateur du roman d’Olivier Py déclare à propos de la vie parisienne qu’elle est « faite d’inutilités et de paillettes ». Ce jugement répond-il à votre vision de la capitale ? Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous appuyant sur les documents du corpus, vos lectures de l’année et vos connaissances personnelles.

Ce type de sujet amène ici à soutenir un raisonnement illustré par des exemples répondant à une problématique dans le but de convaincre un lecteur en justifiant ou en confrontant des thèses successives. La démarche dialectique (oui/non) semble tout à fait indiquée. Vous pouvez par exemple défendre un point de vue dans la thèse (votre première partie) en trouvant au moins deux arguments illustrés d’exemples, et à le nuancer dans l’antithèse (votre deuxième partie) en trouvant également deux arguments illustrés d’exemples :

  1. Certes, « la vie parisienne est faite d’inutilités et de paillettes »
  2. Néanmoins, il faut dépasser cette image assez stéréotypée 

Plan développé

I) La vie parisienne est faite d’inutilités et de paillettes…

Pistes de réflexion Exemples possibles
Idée 1 : Paris, capitale de l’illusion : la vie dans la capitale paraît souvent superficielle, désincarnée, consumériste : axée sur l’apparence ou des aspects futiles, mondains (préoccupations matérialistes, activités frivoles au détriment de valeurs plus profondes ou d’engagements plus significatifs). 

 

Doc. 1 : Jacques Dutronc : « Il est cinq heures, Paris s’éveille »

Doc. 2 : publicité de Givenchy pour le parfum « L’Interdit »

Doc. 3 : bande-annonce de la série Emily in Paris

  • Cette perception de la ville comme étant étincelante, superficielle ou glamour a été largement véhiculée à travers les médias, la culture populaire et le tourisme. La capitale française est en efffet mondialement renommée pour ses maisons de couture, de parfumerie, de cosmétique, pour ses joailliiers prestigieux, son offre hotelière et gastronomique réservée à une élité, etc. De même, un certain nombre de lieux (Champs Elysées, Faubourg Saint-Honoré, avenue Montaigne, quartier de l’Opéra, grands magasins du Boulevard Haussmann, Samartitaine, etc.) ont contribué à renforcer les stéréotypes attachés à l’argent : grandes fortunes, opulence et ostentation (L’Oréal, groupe LVMH, Chanel) par opposition à la France laborieuse.
  • Fortement associée à l’idée du luxe, la Fashion Week de Paris est l’un des événements les plus prestigieux de l’industrie de la mode. Elle se déroule deux fois par an, au printemps/été et à l’automne/hiver, et attire les créateurs les plus renommés du monde entier. Ce type d’événement accentue les représentations quant à la superficialité de la capitale : étalage des richesses, ostentation, etc. Référence à l’idée que l’industrie accorderait plus d’importance à l’apparence superficielle et à la tendance éphémère plutôt qu’à des valeurs plus profondes (cf. le texte de Balzac : « il y a des gilets et des pantalons à quatre francs et quarante sous, les tailleurs à la mode ne vous les font pas à moins de cent francs » ou ces propos d’O. Py : « […] cette petite robe jaune pailletée dans la vitrine d’un magasin de luxe, soleil éblouissant d’inutilité. Deux jeunes filles la regardent comme le Saint-Sépulcre […] ».
  • Jacques Dutronc : « Il est cinq heures, Paris s’éveille » [Doc. 1](paroles : Jacques Lanzmann). cette chanson est souvent associée à l’ambiance de la capitale française au lever du jour. Dutronc chante les pérégrinations d’un dandy qui termine sa nuit festive et croise sur son chemin (avec une certaine désinvolture) la France ouvrière, qui se lève tôt. A mettre en relation avec les IO : « La vie parisienne est aussi une vie nocturne, faite d’excès, avec ses codes particuliers et ses univers interdits ». On pourra par exemple exploiter la publicité de Givenchy pour le parfum « L’Interdit » [Doc. 2] (créé à l’origine en 1957 par Hubert de Givenchy pour l’actrice Audrey Hepburn) : réalisée par Todd Haynes, la publicité joue avec un certain nombre de stéréotypes attachés à la capitale : après une soirée mondaine parisienne ennuyeuse, une jeune femme (Rooney Mara) se laisse entraîner dans les couloirs du métro parisien (station désaffectée de la Porte des Lilas) jusqu’à une soirée « interdite »… Au petit matin, elle réapparaît finalement à la sortie du métro.
  • Diffusée pour la première fois sur Netflix en octobre 2020, la série Emily in Paris[Doc. 3] fait partie des contenus les plus visionnés de la plate-forme : l’héroïne débarque dans une ville de carte postale (chambre de bonne spatieuse donant sur la Tour Eiffel) qui accumule les clichés sur la capitale : obsession de la mode, liberté de moeurs, infidélité, rapport des Parisiens à l’alcool, fainéantise, café-croissant quotidien, etc. Les épisodes de la série enchaînent de nombreux stéréotypes sur la France et les Français.
Idée 2 : Importance du paraître et des apparences à Paris (vanité, snobisme) : cette vision suggère que les gens doivent jouer un rôle pour s’imposer en société.  On pourra réfléchir à l’égocentrisme dont se nourrit le parisianisme.

Doc. 4 : Marie-Paule Belle « La Parisienne »

  • Réinvestissement du texte de La Bruyère : « L’on se donne à Paris, sans se parler, comme un rendez-vous public, mais fort exact, tous les soirs au Cours ou aux Tuileries, pour se regarder au visage et se désapprouver les uns les autres […] l’on y passe en revue l’un devant l’autre : carrosse, chevaux, livrées, armoiries, rien n’échappe aux yeux, tout est curieusement ou malignement observé ». Dans la remarque 99 du Livre VIII des Caractères, La Bruyère utilise la métaphore du théâtre du monde : « ce sera le même théâtre et les mêmes décorations ». Cette idée d’hypocrisie, de dissimulation, de masque est bien mise en valeur par le personnage de Georges Duroy dans le roman Bel-Ami de Maupassant : refusant tout idéalisme, l’auteur décrit de façon froide une société parisienne dominée par l’argent et le chacun pour soi. En parfait arriviste, Georges Duroy, le héros du livre, gravit tous les échelons de la société grâce à la manipulation et aux complots financiers. La dernière page du roman donne à voir un personnage cynique et manipulateur. Cette vision pessimiste de l’homme et du monde dominée par le mensonge et l’hypocrisie est à mettre en relation avec le personnage d’Aurélien dans le roman d’O. Py : « Aurélien marche dans Paris les yeux au ciel. Réussir, vaincre, triompher ! Il se regarde faire, aller, siffloter, et en se jouant à lui-même la comédie de sa propre béatitude […], un grand décor dont il est le centre ».
  • Dans un registre plus léger, on pourra exploiter la chanson de Marie-Paule Belle « La Parisienne » (1976) [Doc. 4], charge sarcastique contre le snobisme parisien :
    Lorsque je suis arrivée dans la capitale
    J’aurais voulu devenir une femme fatale
    Mais je ne buvais pas, je ne me droguais pas
    Et je n’avais aucun complexe
    Je suis beaucoup trop normale, ça me vexe
    Je ne suis pas parisienne
    Ça me gêne, ça me gêne
    Je ne suis pas dans le vent
    C’est navrant, c’est navrant
Idée 3 : une ville « de paillettes » au détriment des plus pauvres et des oubliés.

 

 

« La Complainte de la Butte » est une chanson emblématique de la musique française, écrite par Jean Renoir et interprétée à l’origine par Cora Vaucaire. Elle a été composée en 1955 pour le film French Cancan réalisé par Jean Renoir. Loin des paillettes de la ville-lumière, la chanson évoque le quartier de la Butte Montmartre, misérable à l’époque…

  • La gentrification à Paris (processus par lequel un quartier autrefois défavorisé subit des changements sociaux et économiques, entraînant une augmentation des prix de l’immobilier) a provoqué l’arrivée de résidents plus aisés au détriment des classes populaires : Les bobos (contraction de bourgeois-bohèmes) désignent cette nouvelle population branchée qui s’installe dans les quartiers gentrifiés. On pourra exploiter ces propos des IO : « Derrière l’image convenue de la « Ville Lumière », la capitale est aussi le reflet des fractures et des inégalités sociales. Il est de plus en plus difficile de se loger et de vivre dans une cité en pleine gentrification qui exclut les plus pauvres, mais aussi les classes moyennes. Dans ces conditions, peut-on encore y faire société ? » Souvent perçus comme insouciants et préoccupés par leur image et leur statut social, les bobos sont souvent accusés d’altérer l’authenticité culturelle des quartiers. Le phénomène de boboïsation a accentué les tensions entre Paris et la province (à mettre par exemple en relation avec La Bruyère qui souligne comment les Parisiens de son époque sont obsédés par leur rang social, leur réputation et leur apparence extérieure.
  • Exemples possibles sur les déséquilibres (économiques, sociaux, culturels) entre Paris et la province. En 1947, le géographe et urbaniste François Gravier (1915-2005) a publié un ouvrage important intitulé Paris et le désert français. Derrière ce titre provocateur, l’auteur mettait en lumière les disparités de développement entre la région parisienne et les autres régions de France. Cette œuvre a eu un impact significatif sur la politique d’aménagement du territoire en France.
  • La « Belle Epoque » : période de prospérité, d’innovation artistique et de développement culturel caractérisée par une effervescence créative dans les arts, la littérature, la musique, la mode et l’architecture. Certains critiques ont qualifié cette époque de « superficielle » en raison de son obsession pour le luxe, les divertissements frivoles et une certaine légèreté dans les préoccupations sociales et politiques. De fait, derrière les paillettes, la réalité pour le peuple était bien différente. La misère sociale coexistait avec les paillettes de la haute société. Les inégalités économiques étaient importantes, avec une classe ouvrière confrontée à des conditions de travail difficiles et à des niveaux de pauvreté élevés.
  • Sous les paillettes se cache donc une réalité dramatique, comme en témoigne Les Misérables (1862),vaste fresque couvrant près de 20 ans d’histoire du peuple parisien : l’auteur décrit la misère et l’exclusion des plus démunis dont il se fait le porte-parole. On pourra également évoquer l’appel radiophonique de l’Abbé Pierre le 1er février 1954. Cet appel était une réaction à la crise du logement et à la terrible vague de froid qui sévissait en France à l’époque. 

II) Affirmer que la vie parisienne est faite « d’inutilités et de paillettes » s’apparente donc quelque peu à un cliché sur la capitale. Bien que Paris puisse parfois être associée aux apparences et à la superficialité, nul ne saurait contester le décisif ascendant de la capitale : par sa diversité et sa richesse, Paris offre en effet une multitude d’expériences culturelles et artistiques qui vont bien au-delà de son image superficielle. C’est par ailleurs une cité attachante à l’histoire singulière. Enfin, par son statut de « ville-monde », Paris s’impose au XXIème siècle comme une mégapole de tout premier plan, en raison des fonctions stratégiques qu’elle exerce à l’échelle internationale.

Pistes de réflexion Exemples possibles
Idée 1 : Certes, Paris vend du rêve, mais plutôt que de parler de superficialité, on peut s’intéresser à la symbolique de la ville : par delà les clichés, elle a suscité depuis des siècles tout un imaginaire émotionnel.

 

Doc. 5 : Robert Doisneau, « Le balayeur au chevet de Notre-Dame » (1954)

 

 

 

 

 

 

Doc. 6 : « Pam Pa Nam » d’Oxmo Puccino : hommage poétique à la ville de Paris et à ses habitants.

  • Paris est une ville « poétique » en ce sens qu’à la différence d’autres lieux, elle ne renvoie pas seulement à son statut d’agglomération, mais à sa connotation, c’est-à-dire à ce supplément de sens qui fait appel à l’imaginaire et au rêve. C’est ainsi que Scorsese déclarait, dans Le Nouvel Observateur du 8 décembre 2011 : « Mon Paris est une ville de rêve, une cité de cinéma ». Cet aspect n’a donc rien de superficiel car il touche au symbolique. Vous pouvez ici faire référence au nombre de peintres, d’écrivains, de paroliers, de caricaturistes, de photographes (notamment Robert Doisneau Doc. 5) ou de cinéastes qui ont contribué à influencer notre vision de la capitale, superposant souvent à la ville réelle une ville imaginaire, qui parle au coeur et à l’âme.

Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet (2001)

Cette comédie romantique raconte l’histoire d’Amélie Poulain, jeune femme rêveuse et imaginative qui décide de changer la vie des gens autour d’elle pour le meilleur, tout en cherchant le bonheur pour elle-même. Le film est célèbre pour ses reconstitutions oniriques de Paris, en particulier Montmartre ou le canal Saint-Martin, avec ses cafés pittoresques, ses rues pavées et son atmosphère bohême. 

  • Dans un monde de nivellement des cultures, de massification et de déracinement, Paris est un marqueur social en offrant un ancrage identitaire fort : comme le dit →Giulia Mensitieri, l’industrie du luxe (mode, parfums, haute couture, etc.) « est avant tout une industrie de production symbolique, elle fabrique un imaginaire que les médias et les institutions qui la représentent appellent communément le « rêve ». Ce rêve est matériellement lié à la confection des vêtements les plus luxueux qui se puissent concevoir. Or cette production est structurellement liée à la ville de Paris, car les créateurs souhaitant bénéficier de cette appellation doivent impérativement y disposer d’ateliers. De ce fait, la haute couture ne peut exister en dehors de Paris […]. Par un jeu d’emboîtements, aussi bien les maisons de couture que la ville de Paris et que la France produisent et bénéficient de cet apparat de dentelle, de paillettes, de beauté et de travail pour bâtir une image de luxe et de travail très rentable pour leurs économies ».
  • Il y a un lien fort entre Paris et le monde. Ainsi, l’incendie de Notre-Dame le 15 avril 2019 a provoqué une réaction de sidération et de tristesse dans le monde entier. De même, les attentats terroristes de 2015 ont déclenché une vague d’indignation, de solidarité et de deuil à l’échelle mondiale : des mémoriaux se sont formés, des centaines de milliers de messages ont été diffusés via Internet… Durant des semaines, les Archives de Paris en ont collecté le contenu qui appartient aujourd’hui au patrimoine national. Loin d’être seulement « médiatique », cette vague d’émotion témoigne du lien affectif et de l’attachement sincère du monde à Paris.
  • De même Paris porte l’empreinte de ses habitants : les arrondissements sont souvent pour eux comme un « village » avec lequel ils entretiennent une forte relation de proximité : vous pourrez exploiter bien entendu « La Bohême » (1965) de Charles Aznavour : sur le rythme mélancolique d’une valse, le chanteur évoque le Montmartre artiste du début du 20ème siècle. Pareillement, Charles Trenet dans « Ménilmontant » (1938) se souvient avec émotion de ce quartier pittoresque et populaire. 


Charles Trenet, « Ménilmontant » (1938)
Cette chanson aura d’autant plus de résonance qu’elle est écrite en 1938, dans un monde au bord d’une guerre que personne ne semble pouvoir éviter.

De façon plus contemporaine, la chanson « Pam Pa Nam » d’Oxmo Puccino (2012) Doc. 6 rend hommage aux quartiers de Paname (Paris en argot) sur le rythme lent d’une ballade, sorte d’errance lyrique et poétique mélangeant les influences musicales (notamment la chanson française et la musique rap). Le clip met en scène plusieurs destins croisés dans le Paris des « titis », notamment celui d’un voleur à la tire un peu perdu tombant amoureux de sa victime. 

Idée 2 : Une ville à l’identité culturelle complexe, loin des clichés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Doc. 7 : Mireille Mathieu, l’inoubliable interprète de la chanson « Paris en colère » (paroles : Maurice Vidalin ; musique : Maurice Jarre)

  • Paris est une capitale culturelle de premier ordre : outre son exceptionnel patrimoine artistique, c’est une ville qui a influencé les grandes avant-gardes, par exemple l’impressionnisme, le surréalisme, le cubisme ou la nouvelle vague à la fin des années 50 (mouvement de remise en question du cinéma traditionnel, notamment grâce à François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol ou Agnès Varda. Ce mouvement a eu une influence significative sur le cinéma mondial). Dans son essai intitulé Paris, « capitales » des XIXe siècles (Seuil 2021), Christophe Charle montre que Paris « est un laboratoire politique, social et surtout culturel : s’y expérimentent de nouveaux regards sur la ville devenue spectacle, des pratiques de loisirs, la mise en place du modèle de rupture dans les arts – impressionnisme, symbolisme, naturalisme… » De même c’est à Paris dans le « Quartier latin » que va se concentrer la vie éditoriale et littéraire après la guerre (théâtre de l’absurde, existentialisme sous l’influence de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir). Face à une France parfois très conservatrice et réticente à faire bouger les idées, toute une génération, celle du Jazz, de Boris Vian et de Saint-Germain-des-Prés, est avide de « refaire le monde ».
  • Par de nombreux aspects, et en dépit des vérités qu’elle pose, la satire des mœurs de La Bruyère est largement pessimiste et conservatrice. L’auteur semble stigmatiser toute idée nouvelle qui s’éloignerait de la morale traditionnelle. On peut donc légitimement questionner une telle éthique, qui paraîtrait de nos jours assez réactionnaire. De même, on ne saurait limiter la vie parisienne à une comédie sociale fondée sur les apparences. La particularité de la population parisienne est d’être largement multiethnique. Loin d’être repliée sur elle-même et de vivre dans des cercles fermés, elle est au contraire le symbole d’une ville ouverte à l’altérité : ainsi, la capitale accueille une population étrangère importante, puisque 4 immigrés sur 10 vivent à Paris et dans sa région. Un tel apport participe au dynamisme économique et culturel de la capitale.
  • Selon ce que vous avez étudié, vous pouvez centrer sur certains épisodes importants de l’histoire de Paris : Révolution française (avec le tableau d’Eugène Delacroix, « La Liberté guidant le peuple », 1830), Commune de Paris, Discours du Général de Gaulle lors de la libération de Paris, etc. Vous pouvez également mentionner  la célèbre chanson de Mireille Mathieu « Paris en colère » (1966) [Doc. 7] qui rappelle la vocation de la capitale à s’inscrire dans le cours de l’Histoire du monde : « Et le monde tremble/Quand Paris est en danger/Et le monde chante/Quand Paris s’est libéré »… Paris apparaît ainsi comme un marqueur de la démocratie.

"Soyez réalistes, demandez l'impossible". Crédit photographique : Gérard-Aimé/Rapho-Eyedea, 1968« Soyez réalistes, demandez l’impossible ». Crédit photographique : Gérard-Aimé/Rapho-Eyedea, 1968. Mai 68 a eu un impact durable sur la société française, marquant une rupture significative avec le passé et influençant la politique, la culture et les mouvements sociaux ultérieurs en France et dans le monde entier.

Idée 3 : Un poids économique et politique de premier ordre : renforcer Paris et sa région renforce le reste du pays. 

 

 

 

  • Paris est une métropole macrocéphale de rang mondial. Avec une population de près de 13 millions d’habitants, l’Île-de-France constitue l’une des aires urbanisées les plus peuplées du continent européen. Paris et sa région concentrent 31 % du PIB nationalBassin productif et d’emplois parfaitement relié à la dorsale européenne :  l’agglomération forme le pôle d’activités le plus important du pays et un centre dynamique à l’échelle nationale, européenne et mondiale. 
  • Exemple du « Grand Paris Express » dont le but est de transformer de façon durable l’agglomération parisienne en une grande métropole mondiale du XXIème siècle, afin d’améliorer le cadre de vie des habitants et de corriger les inégalités territoriales : 42 quartiers prioritaires de la politique de la ville seront ainsi desservis par le Grand Paris Express. Le Grand Paris Express permettra en outre de se déplacer facilement et rapidement de banlieue à banlieue sans passer par Paris : 200 km de voies et 68 gares vont être créées. Plus de 180 projets urbains sont d’ores et déjà engagés dans les quartiers entourant les gares qui seront mises en service en 2024 et 2025. Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, a joué un rôle important dans le développement du projet du Grand Paris (voir en particulier son discours du 26 juin 2007 lors de l’inauguration du Satellite n°3 Roissy Charles-de-Gaulle).
  • Situé à Marne-la-Vallée, Disneyland Paris ne saurait être réduit à un simple parc d’attraction : il constitue le pôle le plus visité de la capitale avec plus de 15 millions d’entrées annuelles. Il génère ainsi un impact significatif sur l’économie nationale. 

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Paris, ville capitale ?

Entraînement à l’épreuve de Culture générale et expression du BTS

Paris, capitale de la comédie sociale ?

Entraînement BTS
Thème au programme : Paris, ville capitale ?

Sujet complet conforme au BTS
Les corrigés (synthèse +
écriture personnelle) ont été mis en ligne.

Paris, capitale
de
la

comédie sociale ?

Crédit iconographique : © juillet 2023, Bruno Rigolt.
(photomontages et peinture numérique)

Paris, capitale de la comédie sociale ?

La présentation du corpus et des conseils de méthode seront mis en ligne prochainement. Mise en ligne des corrigés : mercredi 20 mars 2024.

Activités d’écriture : 

♦ Synthèse : Vous réaliserez une synthèse concise, ordonnée et objective des documents suivants :
1. Olivier Py, Les Parisiens, 2019
2. Gustave Caillebotte, « L’Homme au balcon, boulevard Haussmann », 1880
3. Honoré de Balzac, Illusions perdues,1843
4. Jean de La Bruyère, Les Caractères, « De la ville », 1688

♦ Écriture personnelle :
Le narrateur du roman d’Olivier Py déclare à propos de la vie parisienne qu’elle est « faite d’inutilités et de paillettes ». Ce jugement répond-il à votre vision de la capitale ? Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous appuyant sur les documents du corpus, vos lectures de l’année et vos connaissances personnelles.

NIVEAU DE DIFFICULTÉ : *** DIFFICILE

 

Document 1 : Olivier Py, Les Parisiens, 2016

Olivier Py est un homme de théâtre français né le 24 juillet 1965 à Grasse. Acteur, metteur en scène et dramaturge, il a été directeur du Festival d’Avignon de 2013 à 2019 et dirige le Théâtre du Châtelet depuis 2023. Publié en 2016 aux éditions Actes Sud, Les Parisiens se présente comme un roman « balzacien » : Aurélien, le personnage principal, sorte d’arriviste séducteur du XXIème siècle, veut subjuguer la capitale par le théâtre. Avide de plaisirs et de reconnaissance, il se lance avec arrogance à la conquête du Tout-Paris culturel et politique. Sur sa route, il croise une galerie de personnages violents socialement, moralement ou physiquement dans un monde cynique où tout n’est que simulacre et représentation. Le passage à étudier se situe au début du livre.

___Un ciel mouvant d’acier et d’or, luxe et pourriture, désenchantement ou exaltation, éveil et songe.
___Aurélien marche dans Paris les yeux au ciel. Réussir, vaincre, triompher !
___Il se regarde faire, aller, siffloter, et en se jouant à lui-même la comédie de sa propre béatitude, il fait de Paris, ses façades de plomb, ses trésors voilés, ses arbres éblouis, un grand décor dont il est le centre. Il est le centre de cette spirale, sa beauté, sa jeunesse, sa désinvolture, son envie insatiable de victoire, Paris ne vit que pour dévorer sa féroce ambition, Paris est fait pour que les arrivistes arrivent et que les séducteurs séduisent. Il a compris le sens même de cette ville, ce n’est pas une ville c’est une manière d’ignorer la mort. C’est une manière de nier la mort – de laisser la mort fumer ses cigarettes et s’habiller en rose, parmi les autres créatures de ce bestiaire merveilleux.

[…]
Oublier la mort, oublier que l’on va mourir, vaincre, triompher. Réussir à Paris, c’est plus grand qu’inscrire en lettres d’or sur un temple fermé l’annulation du ciel. Oublier la mort cela voudrait dire croire au destin, croire à son destin et ridiculiser la mort, cela voudrait dire faire de la mode une religion. Aucune philosophie, jamais, dans sa difficile et amère mithridatisation1 de la mort, ne vaut le scandale de cette petite robe jaune pailletée dans la vitrine d’un magasin de luxe, soleil éblouissant d’inutilité. Deux jeunes filles la regardent comme le Saint-Sépulcre2. Rien n’est vanité et les Parisiens vont vers leurs travaux et leurs amours, leurs combats et leurs trahisons, la moindre de leurs brûlures est une œuvre d’art puisqu’ils l’ont connue à Paris. Chez un antiquaire derrière le Châtelet3 une critique de théâtre achète des boucles d’oreilles en forme d’ananas, c’est une affaire d’importance. La face du monde est changée. Des gigolos préparent une orgie sous les ordres d’un musclé maître de cérémonie. Acte non moins considérable, un chef d’orchestre obèse, perdu dans les salles du Louvre, regarde les fesses des touristes américains. Et les compare à celles de David4. Un quadragénaire qui a survécu au cancer va agacer les lions du Jardin des Plantes, que faire de plus essentiel ? Un vieux milliardaire découvre sous un voile de satin noir la maquette d’un musée qui lui survivra. Chacun combat la mort comme il peut. Un ministre épuisé regarde de son balcon la beauté des nuages et se mesure à leur évanescence5 en rotant. Deux jeunes femmes qui s’aiment comparent leurs poitrines, ne savent-elles pas que le temps est court et qu’être belle un jour ensoleillé est plus grand que la philosophie ? Une révolution se prépare et des militants peignent sur des cartons des slogans éculés, la révolution elle-même est soumise aux saisons, et une pasionaria6 en imperméable élimé médite sur les utopies. Près de la gare d’Austerlitz, un groupe de sans-papiers a installé son campement, il leur reste avant l’hiver des combats héroïques qu’on ignore dans le jardin des Tuileries7. Une vieille élégante sable le champagne avec un influent mécène. Ensemble, ils rêvent d’intrigues florentines et de têtes coupées. Un pianiste raté pose ses doigts sur un Bösendorfer8 qu’il n’achètera pas, mais c’est le temps de se laisser flotter dans la loterie des destins. Une actrice alcoolique vitupère au bar de la Comédie-Française. Elle a été brûlée au feu de son génie et Paris est son bûcher. Dans l’église Saint-Gervais, un prêtre qui a perdu la foi admire le recueillement des fidèles, autour de lui le monde est indifférent à sa catastrophe intime. Un illustre ténor dîne au Café de la Paix et parle de l’art du chant français, il regarde les foules aller et venir dans la spirale endiablée des Grands Boulevards. Une fausse duchesse se souvient du temps où elle se vendait pour un repas chaud. Son ascension est plus belle que les étoiles, seul le ciel de Paris en connaît le secret. Un jeune homme brun hésite à s’ouvrir les veines, mais le suicide aussi est une vanité. Et tout ce peuple sait que si rien n’est possible politiquement, il reste à vivre une vie parisienne faite d’inutilités et de paillettes.

Olivier Py, Les Parisiens. Paris, Actes-Sud 2016.

1. mithridatisation : action d’immuniser contre un poison. Ici, être indifférent, insensible face à la mort.
2. Saint-Sépulcre : Selon la tradition chrétienne, le Saint-Sépulcre est le lieu où le corps du Christ fut déposé après sa crucifixion. L’expression est ici à prendre au sens figuré : les jeunes filles regardent la robe avec convoitise, comme un objet presque sacré.
3. Allusion au théâtre du Châtelet, situé place du Châtelet dans le 1er arrondissement.
4. Allusion au David de Michel-Ange, célèbre sculpture de la Renaissance réalisée entre 1501 et 1504.
5. Evanescence : qui a une apparence floue, imprécise, fugitive.
6. passionaria : femme se passionnant pour une cause, une idée, et dont l’éloquence agit sur les foules
7. Le Jardin des Tuileries est un élégant lieu de promenade situé entre le Louvre et la place de la Concorde. 
8. Bösendorfer : prestigieuse manufacture autrichienne de pianos, parmi les plus chers du monde.

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Document 2 : Gustave Caillebotte, « L’Homme au balcon, boulevard Haussmann », 1880

Gustave Caillebotte (1848-1894) est un peintre impressionniste français dont les peintures urbaines très réalistes, mettent en scène des moments de la vie quotidienne à Paris. La toile montre un homme élégant, coiffé d’un chapeau haut-de-forme et en habit. Vu de dos, il contemple depuis son balcon le boulevard Haussmann, symbole du développement économique sous la IIIème République. Ce célèbre boulevard abrite toujours plusieurs grands magasins parisiens renommés, comme les Galeries Lafayette et le Printemps, qui ont contribué à renforcer l’association du boulevard avec la bourgeoisie d’affaires et le commerce haut de gamme.

Gustave Caillebotte, « L’Homme au balcon, boulevard Haussmann », 1880 (coll. partic.)

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Document 3 : Honoré de Balzac, Illusions perdues, 1843

Rédigé entre 1837 et 1843, Illusions perdues est un roman majeur d’Honoré de Balzac, appartenant au cycle de La Comédie humaine, vaste ensemble de récits donnant à voir des personnages en quête de gloire et de réussite, mais dont les illusions se heurtent aux dures lois du monde social. Illusions perdues raconte l’histoire d’un jeune provincial désargenté, Lucien de Rubempré, ayant quitté Angoulême dans l’espoir de faire fortune à Paris grâce à son talent littéraire. Dans ce passage, le jeune homme écrit à sa sœur pour l’informer de sa nouvelle vie…

« […] Ma pauvre sœur, Paris est un étrange gouffre : on y trouve à dîner pour dix-huit sous, et le plus simple dîner d’un restaurat élégant coûte cinquante francs ; il y a des gilets et des pantalons à quatre francs et quarante sous, les tailleurs à la mode ne vous les font pas à moins de cent francs. On donne un sou pour passer les ruisseaux des rues quand il pleut. Enfin la moindre course en voiture vaut trente-deux sous. Après avoir habité le beau quartier, je suis aujourd’hui hôtel de Cluny, rue de Cluny, dans l’une des plus pauvres et des plus sombres petites rues de Paris, serrée entre trois églises et les vieux bâtiments de la Sorbonne. J’occupe une chambre garnie au quatrième étage de cet hôtel, et, quoique bien sale et dénuée1, je la paye encore quinze francs par mois. Je déjeune d’un petit pain de deux sous et d’un sou de lait, mais je dîne très-bien pour vingt-deux sous au restaurant d’un nommé Flicoteaux, lequel est situé sur la place même de la Sorbonne. Jusqu’à l’hiver ma dépense n’excédera pas soixante francs par mois, tout compris, du moins je l’espère. Ainsi mes deux cent quarante francs suffiront aux quatre premiers mois. […] N’ayez donc aucune inquiétude à mon sujet. Si le présent est froid, nu, mesquin, l’avenir est bleu, riche et splendide. La plupart des grands hommes ont éprouvé les vicissitudes2 qui m’affectent sans m’accabler. […] Les chagrins et la misère ne peuvent atteindre que les talents inconnus ; mais quand ils se sont fait jour, les écrivains deviennent riches, et je serai riche. Je vis d’ailleurs par la pensée, je passe la moitié de la journée à la bibliothèque Sainte-Geneviève, où j’acquiers l’instruction qui me manque, et sans laquelle je n’irais pas loin. […] Je ne regrette pas non plus d’avoir quitté Angoulême. Cette femme avait raison de me jeter dans Paris en m’y abandonnant à mes propres forces3. Ce pays est celui des écrivains, des penseurs, des poètes. Là seulement se cultive la gloire, et je connais les belles récoltes qu’elle produit aujourd’hui. Là seulement les écrivains peuvent trouver, dans les musées et dans les collections, les vivantes œuvres des génies du temps passé qui réchauffent les imaginations et les stimulent. Là seulement d’immenses bibliothèques sans cesse ouvertes offrent à l’esprit des renseignements et une pâture4. Enfin, à Paris, il y a dans l’air et dans les moindres détails un esprit qui se respire et s’empreint dans les créations littéraires. On apprend plus de choses en conversant au café, au théâtre pendant une demi-heure qu’en province en dix ans. Ici, vraiment, tout est spectacle, comparaison et instruction. Un excessif bon marché, une cherté excessive, voilà Paris, où toute abeille rencontre son alvéole, où toute âme s’assimile ce qui lui est propre. Si donc je souffre en ce moment, je ne me repens5 de rien. Au contraire, un bel avenir se déploie et réjouit mon cœur un moment endolori. Adieu, ma chère sœur, ne t’attends pas à recevoir régulièrement mes lettres : une des particularités de Paris est qu’on ne sait réellement pas comment le temps passe. La vie y est d’une effrayante rapidité. J’embrasse ma mère, David, et toi plus tendrement que jamais. Adieu donc, ton frère qui t’aime.

LUCIEN. »

1. dénuée : vide, dépouillée de biens matériels, non meublée.
2. v
icissitudes : ici : événements malheureux qui se succèdent.
3. Allusion à Louise de Bargeton, femme de la noblesse angoumoisine dont s’éprend Lucien. Après avoir entraîné le jeune homme vers Paris en lui faisant miroiter une vie rêvée, elle l’abandonne rapidement.
4. pâture : ici, nourriture spirituelle.
5. se repentir : regretter vivement une faute, une faiblesse.

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Document 4 : Jean de La Bruyère, Les Caractères, « De la ville », 1688

Brillant moraliste du XVIIème siècle, Jean de La Bruyère a consacré sa vie à la rédaction d’une œuvre unique : Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle. Plusieurs fois réédité du vivant de son auteur, l’ouvrage comporte de nombreuses réflexions sociologiques réparties en seize livres. Dans le livre VII intitulé « De la ville », La Bruyère met en scène un homme du monde propulsé dans Paris. C’est l’occasion pour l’auteur de s’en prendre vivement à la capitale, vaste théâtre divisé en microsociétés éphémères et superficielles dont les habitants agissent comme des acteurs faits seulement pour la parade. 

___L’on se donne à Paris, sans se parler, comme un rendez-vous public, mais fort exact, tous les soirs au Cours ou aux Tuileries, pour se regarder au visage et se désapprouver les uns les autres.
___L’on ne peut se passer de ce même monde que l’on n’aime point, et dont l’on se moque.
___L’on s’attend au passage réciproquement dans une promenade publique ; l’on y passe en revue l’un devant l’autre : carrosse, chevaux, livrées, armoiries, rien n’échappe aux yeux, tout est curieusement ou malignement observé ; et selon le plus ou le moins de l’équipage, ou l’on respecte les personnes, ou on les dédaigne.
___Tout le monde connaît cette longue levée qui borne et qui resserre le lit de la Seine, du côté où elle entre à Paris avec la Marne, qu’elle vient de recevoir : les hommes s’y baignent au pied pendant les chaleurs de la canicule ; on les voit de fort près se jeter dans l’eau ; on les en voit sortir : c’est un amusement. Quand cette saison n’est pas venue, les femmes de la ville ne s’y promènent pas encore ; et quand elle est passée, elles ne s’y promènent plus.
___Dans ces lieux d’un concours général, où les femmes se rassemblent pour montrer une belle étoffe, et pour recueillir le fruit de leur toilette, on ne se promène pas avec une compagne par la nécessité de la conversation ; on se joint ensemble pour, se rassurer sur le théâtre, s’apprivoiser avec le public, et se raffermir contre la critique : c’est là précisément qu’on se parle sans se rien dire, ou plutôt qu’on parle pour les passants, pour ceux même en faveur de qui l’on hausse sa voix, l’on gesticule et l’on badine, l’on penche négligemment la tête, l’on passe et l’on repasse.
___La ville est partagée en diverses sociétés, qui sont comme autant de petites républiques, qui ont leurs lois, leurs usages, leur jargon, et leurs mots pour rire. Tant que cet assemblage est dans sa force, et que l’entêtement subsiste, l’on ne trouve rien de bien dit ou de bien fait que ce qui part des siens, et l’on est incapable de goûter ce qui vient d’ailleurs : cela va jusques au mépris pour les gens qui ne sont pas initiés dans leurs mystères. L’homme du monde d’un meilleur esprit, que le hasard a porté au milieu d’eux, leur est étranger : il se trouve là comme dans un pays lointain, dont il ne connaît ni les routes, ni la langue ni les mœurs, ni la coutume ; il voit un peuple qui cause, bourdonne, parle à l’oreille, éclate de rire, et qui retombe ensuite dans un morne silence ; il y perd son maintien, ne trouve pas où placer un seul mot, et n’a pas même de quoi écouter. Il ne manque jamais là un mauvais plaisant qui domine, et qui est comme le héros de la société : celui-ci s’est chargé de la joie des autres, et fait toujours rire avant que d’avoir parlé.
[…]
___On s’élève à la ville dans une indifférence grossière des choses rurales et champêtres ; on distingue à peine la plante qui porte le chanvre d’avec celle qui produit le lin, et le blé froment d’avec les seigles, et l’un ou l’autre d’avec le méteil : on se contente de se nourrir et de s’habiller. Ne parlez à un grand nombre de bourgeois ni de guérets, ni de baliveaux, ni de provins, ni de regains, si vous voulez être entendu : ces termes pour eux ne sont pas français. Parlez aux uns d’aunage, de tarif, ou de sol pour livre, et aux autres de voie d’appel, de requête civile, d’appointement, d’évocation. Ils connaissent le monde, et encore parce qu’il a de moins beau et de moins spécieux ; ils ignorent la nature, ses commencements, ses progrès, ses dons et ses largesses. Leur ignorance souvent est volontaire, et fondée sur l’estime qu’ils ont pour leur profession et pour leurs talents. Il n’y a si vil praticien, qui, au fond de son étude sombre et enfumée, et l’esprit occupé d’une plus noire chicane, ne se préfère au laboureur, qui jouit du ciel, qui cultive la terre, qui sème à propos, et qui fait de riches moissons ; et s’il entend quelquefois parler des premiers hommes ou des patriarches, de leur vie champêtre et de leur économie, il s’étonne qu’on ait pu vivre en de tels temps, où il n’y avait encore ni offices, ni commissions, ni présidents, ni procureurs ; il ne comprend pas qu’on ait jamais pu se passer du greffe, du parquet et de la buvette.

Entraînement au Bac de français (séries technologiques) : contraction + essai CORRIGÉS

Entraînement au Bac de français. Séries technologiques : ST2S | STI2D | STL | STMG

CONTRACTION DE TEXTE ET ESSAI : CORRIGÉS

  • Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
  • Parcours : « Ecrire et combattre pour l’égalité »

Méthodologie des exercices (contraction + essai) : cliquez ici.

Texte de la contraction : Hubertine Auclert, « Discours prononcé au Congrès ouvrier socialiste de Marseille », 1879.

Journaliste, écrivaine et militante féministe française, Hubertine Auclert (1848-1914) est une figure majeure dans l’histoire du mouvement féministe. Elle s’est battue toute sa vie en faveur de l’égalité des femmes et de leur droit de vote. En 1879, le parti socialiste français organise plusieurs congrès ouvriers afin de mener une lutte pour l’amélioration des conditions économiques et sociales du prolétariat. Hubertine Auclert y participe et tient les propos suivants devant plusieurs centaines d’auditrices et d’auditeurs…

Ah ! nous vivons sous une façon de République qui prouve que les mots les plus sublimes deviennent de vains titres qui s’étalent aux regards, quand dans les sociétés les principes qu’ils représentent ne sont pas intégralement appliqués. Une République qui maintiendra les femmes dans une condition d’infériorité ne pourra pas faire les hommes égaux. Avant que vous, hommes, vous conquerriez le droit de vous élever jusqu’à vos maîtres1, il vous est imposé le devoir d’élever vos esclaves, les femmes, jusqu’à vous.
Beaucoup n’ont jamais réfléchi à cela. Aussi bien, si dans cette imposante assemblée, je posais cette question : Êtes-vous partisans de l’égalité humaine ? Tous me répondraient : Oui. Car ils entendent en grande majorité, par égalité humaine, l’égalité des hommes entre eux. Mais si je changeais de thème, si pressant les deux termes — homme et femme — sous lesquels l’humanité se manifeste, je vous disais : Êtes-vous partisans de l’égalité de l’homme et de la femme ? Beaucoup me répondraient : Non. Alors que parlez-vous d’égalité, vous qui étant vous-mêmes sous le joug2, voulez garder des êtres au-dessous de vous. Que vous plaignez-vous des classes dirigeantes, puisque vous faites, vous dirigés, la même œuvre à l’égard des femmes que les classes dirigeantes ?
[…] On trouve bon de faire des recherches scientifiques sur tout. Chaque jour, on découvre aux animaux et aux végétaux des qualités nouvelles. On multiplie les expériences tendant à tirer des bêtes tout l’utile, des plantes tout le salutaire3. Mais jamais encore on n’a songé à mettre la femme dans une situation identique à celle de l’homme, de façon à ce qu’elle puisse se mesurer avec lui et prouver l’équivalence de ses facultés.
[…] Jamais on n’a essayé d’expérimenter avec impartialité la valeur de la femme et de l’homme. Jamais on n’a essayé de prendre un nombre déterminé d’enfants des deux sexes, de les soumettre à la même méthode d’éducation, aux mêmes conditions d’existence. […] Qu’on renverse les conditions, […] qu’on mette les garçons de 12 à 16 ans à la cuisine, à la couture et qu’on laisse les jeunes filles dans les écoles industrielles ; qu’on les fasse entrer en possession de tous les droits qui ont été jusqu’ici le lot exclusif des hommes ; qu’on enserre les jeunes gens dans l’étiquette et les préjugés à l’aide desquels on a garrotté4 les femmes ; bientôt les rapports entre la valeur des deux sexes seront totalement renversés.
Vous ne voulez pas faire cette expérience ? Savez-vous bien alors que vous nous permettez de croire, à nous femmes, que vous avez moins le doute que la crainte de notre égalité. En continuant à nous laisser dans une vie atrophiante, vous imitez, vous hommes civilisés, les barbares, possesseurs d’esclaves, qui exploitent avec grand profit la prétendue infériorité de leurs semblables.
[…]
Sachez-le, citoyens, ce n’est que sur l’égalité de tous les êtres que vous pouvez vous appuyer pour être fondés à réclamer votre avènement à la liberté. Si vous n’asseyez pas vos revendications sur la justice et le droit naturel, si vous, prolétaires5, vous voulez aussi conserver des privilèges, les privilèges de sexe, je vous le demande, quelle autorité avez-vous pour protester contre les privilèges des classes ? Que pouvez-vous reprocher aux gouvernants qui vous dominent, qui vous exploitent, si vous êtes partisans de laisser subsister dans l’espèce humaine des catégories de supérieurs et d’inférieurs ?
[…]
Finissez-en avec ces questions d’orgueil et d’égoïsme. Le droit de la femme ne vous ôte pas votre droit. Mettez donc franchement le droit […] à la place de l’autorité : car, si, en vertu de l’autorité, l’homme opprime la femme, par le fait de cette même autorité, l’homme opprime l’homme.
J’ai parlé pour le plus grand nombre. Je m’adresse maintenant à ceux qui se déclarent partisans de l’égalité de l’homme et de la femme, mais dont le mot d’ordre est Chut !… Ne perdons pas notre temps à nous occuper de ce détail. Un détail ! l’exploitation d’une moitié de l’humanité par l’autre moitié ! […]
Il y a trop longtemps qu’on fait espérer aux femmes une condition sociale égale à celle de l’homme. Quand en 1789 Olympe de Gouges présenta aux États-généraux au nom des femmes, son cahier de doléances et de réclamations, il lui fut répondu qu’il était inutile d’examiner la condition de la femme, attendu qu’un changement complet devant se faire dans la société, les femmes seraient affranchies6 comme l’homme.
La Révolution éclate : On proclame les droits de l’homme ; les femmes restent serves7. Ces femmes qui avaient travaillé à la Révolution croyaient naïvement avoir conquis leur part de liberté. Quand elles se virent tenues à l’écart de tout, elles réclamèrent. Alors, elles furent ridiculisées, bafouées, insultées […]. Et, en même temps que ces révolutionnaires autocrates8 décrétaient l’inégalité de la femme, ils faisaient entendre jusqu’au bout du monde les mots sonores d’Égalité, de Liberté !

Hubertine Auclert, « Discours prononcé au Congrès ouvrier socialiste de Marseille », 1879.

Nombre de mots : 800

NOTES

1. Les « maîres » désignent ici les bourgeois.
2. « être sous le joug » : être soumis, être dans l’asservissement moral ou social.
3. « tout le salutaire » : tous les bienfaits.
4. « garrotter » : au sens figuré, « Mettre dans l’impossibilité d’agir librement, priver de toute liberté d’action » (CNRTL)
5. « prolétaire » : travailleur appartenant au prolétariat, c’est-à-dire à la classe ouvrière.
6. « affranchies » : libérées.
7. « serves » : soumises.
8. « autocrate » : dont l’autorité est comparable à celle d’un monarque absolu.

Corrigé des activités d’écriture

1) Contraction

Vous résumerez ce texte en 200 mots. Une tolérance de +/– 10 % est admise : votre travail comptera au moins 180 mots et au plus 220 mots. Vous placerez un repère oblique (/) dans votre travail tous les 50 mots et indiquerez, à la fin de votre contraction, le nombre total de mots utilisés.

Corrigé de la contraction

___Pour avoir du sens, une République doit être animée par les plus vertueux principes. Aussi est-il vain de prôner l’égalité dans une République maintenant les femmes dans la servitude.
___Comment trouvez-vous légitime, messieurs les prolétaires, de vous révolter contre les bourgeois et illégitime que les femmes veuillent [50] s’affranchir de l’oppression masculine ?
___Pour vous convaincre, tentons l’expérience suivante : inversons le modèle patriarcal au profit des femmes : dès l’école, que les petites filles soient éduquées comme des garçons, et inversement : en modifiant les rapports de force, pareille expérience permettrait de renverser les stéréotypes [100] sexistes.
___Hommes, si vous refusez une telle expérience, c’est que vous en craignez les résultats. Tout civilisés que vous prétendez être, en maintenant les femmes sous le joug de la servitude, vous n’êtes que des barbares.
___Pire, comment prétendez-vous vous prévaloir de principes universels comme l’égalité, et dans [150] le même temps, être en contradiction avec le droit naturel en refusant aux femmes l’égalité ? Pareille attitude décrédibilise votre lutte pour l’égalité sociale.
___En opprimant la femme, l’homme s’opprime lui-même ! On nous a trop longtemps fait croire que les droits de l’Homme servaient également [200] les droits des femmes. Funeste erreur dont Olympe de Gouges et tant d’autres femmes ont injustement payé le prix.

Nombre de mots : 220

Comptage des mots :

  • Les l’, n’, s’, etc. comptent pour 2 mots : « l’homme » : 2 mots ; « s’affranchir » : 2 mots ; « l’homme s’opprime » : 4 mots.
  • Les mots composés comptent pour 2 mots à partir du moment où chacun des mots pris séparément a un sens : « est-il » : 2 mots ; « lui-même » : 2 mots ; mais « a-t-il » : 2 mots (Le t euphonique ne compte pas car il n’a pas de signification propre. Il est « euphonique », c’est-à-dire qu’il n’est utilisé que pour améliorer la sonorité de la langue).
  • Conseil : afin de compter rapidement les mots de votre contraction, écrivez au brouillon 10 mots par ligne dans un tableau :
Pour avoir du sens, une République doit être animée par 10
les plus vertueux principes. Aussi est- il vain de prôner 20

2) Essai

Hubertine Auclert écrit : « ce n’est que sur l’égalité de tous les êtres que vous pouvez vous appuyer pour être fondés à réclamer votre avènement à la liberté. » En quoi l’égalité de tous les êtres est-elle une juste condition d’accès à la liberté ? Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre du parcours : « Ecrire et combattre pour l’égalité ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

Corrigé de l’essai

___Dans la lignée d’Olympe de Gouges, de Flora Tristan1 ou de Louise Michel2, Hubertine Auclert est une figure majeure du féminisme de la IIIème République. En octobre 1879, au Congrès ouvrier de Marseille, elle prend la parole pour réclamer que les femmes, au même titre que les hommes, fassent entendre leur voix. Dans un plaidoyer célèbre pour l’égalité, elle soutient que la revendication d’une vraie République ne peut se faire qu’au prix du suffrage féminin : « ce n’est que sur l’égalité de tous les êtres que vous pouvez vous appuyer pour être fondés à réclamer votre avènement à la liberté ». En quoi l’égalité de tous les êtres, comme l’affirme Hubertine Auclert, est-elle une juste condition d’accès à la liberté ? La problématique de cet essai questionnera l’importance de l’égalité comme fondement nécessaire afin de garantir la liberté pour tous. Après avoir exposé dans les deux premiers axes comment l’articulation entre la liberté et l’égalité est à la base d’une société démocratique fondée sur la sauvegarde des droits de l’humain, nous terminerons notre réflexion en montrant qu’il ne saurait y avoir de liberté sans fraternité.

___Pour commencer, l’égalité de tous les êtres est le thème central d’une pensée qui cherche à lutter contre la servitude et l’obscurantisme. De fait, comment parler d’égalité lorsque certaines personnes ou catégories sociales sont discriminées ou juridiquement défavorisées ? Comment parler d’égalité devant la loi quand les libertés individuelles sont menacées par les abus de pouvoir ? Comment se prétendre libre si on n’est pas un sujet égal, émancipé du despotisme ? C’est ainsi que dans la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges pose d’emblée les bases de l’égalitarisme en vertu de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui dispose3 que « la loi doit être la même pour tous » : puisque les hommes ont réussi à s’affranchir des erreurs du passé, pourquoi les femmes ne bénéficieraient-elles pas aussi des progrès des Lumières ? Le postambule de la Déclaration est très clair à ce propos : « Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits ». L’égalité est donc la condition de la liberté. Comme l’affirme encore Olympe de Gouges dans l’article premier de la Déclaration, « la Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits ». En rappelant le caractère naturel de l’égalité en droits des femmes et des hommes, Olympe de Gouges légitime donc les revendications des femmes à l’égalité. Reprenant l’article 4 de la Déclaration de 1789 qui stipule que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », Olympe de Gouges reformule avec subtilité l’argument en affirmant : « l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison. » Comme on le voit, l’égalité est la condition de la liberté puisque personne ne peut imposer à autrui une contrainte à laquelle il échapperait lui-même. 

___En outre, il est nécessaire de rappeler que tous les êtres humains possèdent un droit égal à la liberté : le respect de ce droit devrait être la norme qui fonde les sociétés. Dans De l’esprit des lois, et plus particulièrement dans l’avertissement au lecteur, Montesquieu affirme : « ce que j’appelle la vertu dans la république est l’amour de la patrie, c’est-à-dire l’amour de l’égalité ». Pour Montesquieu, la question de l’égalité est donc à mettre en relation avec la liberté politique : en prônant la séparation des pouvoirs, les philosophes du siècle des Lumières ont cherché à promouvoir l’équilibre, favorisant ainsi la liberté. Mais une telle conception de la liberté n’est possible que si elle permet à tous les êtres humains, sans exception, d’être égaux. Que l’on songe à cet avertissement de Condorcet dans ses Réflexions sur l’esclavage des Nègres4 (1781) : « Réduire un homme à l’esclavage, l’acheter, le vendre, le retenir dans la servitude, ce sont de véritables crimes, et des crimes pires que le vol ». Pour Condorcet en effet, l’esclavage est le pire crime qui soit car il dépouille l’humain du droit naturel de propriété, y compris sur lui-même. Nous pourrions également rappeler cette phrase essentielle d’Olympe de Gouges dans ses Réflexions sur les hommes nègres où l’on peut lire : « L’homme partout est égal. Les rois justes ne veulent point d’esclaves […] ». Comment pourrait-on se prétendre libre si l’on fonde sa liberté sur l’infériorité de son semblable ? Nous pourrions évoquer dans le même ordre d’idées les thèses anti-esclavagistes développées au 18ème siècle par Voltaire, dans le conte philosophique Candide. Au chapitre 19, l’auteur nous amène à nous mettre à la place d’un esclave et à imaginer les souffrances que le malheureux endure. Comme on le voit, en suscitant l’empathie, la littérature d’idées secoue notre bonne conscience et nous oblige à développer notre sens critique afin de vouloir changer les choses pour vivre dans un monde plus juste.

___Enfin, si Hubertine Auclert a parfaitement raison d’affirmer que « l’égalité de tous les êtres est une juste condition d’accès à la liberté », nous pourrions ajouter qu’il n’y pas de véritable liberté sans fraternité. De fait, égalité ne veut pas dire similitude : une véritable égalité doit prendre en compte les différences dans un esprit de tolérance et d’équité. C’est ce que démontre Étienne de La Boétie en réfutant toute tentative de justification de la servitude et en mettant l’accent sur la nécessité de la fraternité comme condition de la liberté : « la nature, ministre de Dieu et gouvernante des hommes, nous a tous faits de même forme, et comme il semble, selon un même moule, afin que nous nous reconnaissions tous comme compagnons ou plutôt comme frères ». De fait, Étienne de La Boétie a été le premier auteur, dans son Discours sur la servitude volontaire, à avoir exprimé une formule semblable à la devise républicaine en montrant que la fraternité est, par l’égalité qu’elle reconnaît et institue, la condition même de la liberté. Comme on le voit, la liberté individuelle est mieux préservée au sein d’une société où les membres se traitent les uns les autres avec humanisme. Cette notion reflète l’idéal républicain selon lequel la liberté ne peut être pleinement réalisée que dans un contexte de solidarité entre les citoyens : le principe d’une démocratie reposant sur l’idée de « contrat social », c’est-à-dire l’obéissance à des valeurs communes. L’adhésion de l’individu au groupe doit donc être source de cohésion, voire de communion. De nos jours, de nombreux projets participatifs et inclusifs permettent à chacun d’exercer son sens critique tout en se conformant à un même idéal social humaniste : égalité des genres, fraternité, solidarité. Ainsi, l’échange participatif basé sur l’obligation sociale réciproque est une composante essentielle de nos démocraties modernes : réseaux sociaux, dispositifs solidaires d’échange, Web participatif, etc.

_

___Comme nous avons essayé de le montrer tout au long de notre réflexion, l’égalité mais aussi la fraternité sont des conditions essentielles de toute société démocratique. Particulièrement à notre époque, où l’on accuse souvent le monde moderne d’isoler les individus ou de détruire le lien social, de nombreux projets communautaires, associatifs et participatifs voient pourtant le jour et permettent de repenser notre modernité et nos modèles civilisationnels dans l’espoir d’un nouveau « vivre ensemble », plus égalitaire et fraternel…

© février 2024, Bruno Rigolt

NOTES

1. Flora Tristan (1803-1844) est une écrivaine et militante française. Socialiste engagée, elle est connue pour ses plaidoyers en faveur des droits des femmes et des travailleurs. Citation célèbre (à mettre en relation avec la citation de Louise Michel) : « L’homme le plus opprimé peut opprimer un être, qui est sa femme. Elle est la prolétaire du prolétaire même ». (L’Union ouvrière, 1843).
2. Militante anarchiste, écrivaine et institutrice, Louise Michel (1830-1905) est une figure emblématique de la Commune de Paris en 1871, où elle s’était engagée activement. Toute sa vie durant, elle a lutté pour l’égalité des sexes, la justice sociale et la liberté des opprimé·e·s. Citation célèbre : « Esclave est le prolétaire, esclave entre tous est la femme du prolétaire» (Louise Michel, Mémoires, 1886).
3. En droit, le verbe « disposer » signifie décider, décréter, édicter. On dit qu’une loi ou qu’un article de droit « dispose que… »  Par exemple, l’article 6 de la Constitution française dispose que le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct.
4. À l’époque de Condorcet, le terme « nègre » désignait simplement les caractéristiques physiques propres à la race noire. Si le mot « nègre » n’a donc rien de péjoratif sous la plume de Condorcet, il a pris depuis dans la langue courante un sens fortement dépréciatif, voire raciste. Ainsi, dans votre essai, si vous citez Condorcet, vous ne changerez pas le terme « nègre » utilisé par l’auteur. En revanche, vous n’emploierez pas ce terme dans votre argumentaire.

Entraînement au Bac de français (séries technologiques) : contraction + essai

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CONTRACTION DE TEXTE ET ESSAI

  • Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
  • Parcours : « Ecrire et combattre pour l’égalité »
  • Méthodologie des exercices : cliquez ici.
  • Corrigés : cliquez ici.

 

Texte de la contraction : Hubertine Auclert, « Discours prononcé au Congrès ouvrier socialiste de Marseille », 1879.

Journaliste, écrivaine et militante féministe française, Hubertine Auclert (1848-1914) est une figure majeure dans l’histoire du mouvement féministe. Elle s’est battue toute sa vie en faveur de l’égalité des femmes et de leur droit de vote. En 1879, le parti socialiste français organise plusieurs congrès ouvriers afin de mener une lutte pour l’amélioration des conditions économiques et sociales du prolétariat. Hubertine Auclert y participe et tient les propos suivants devant plusieurs centaines d’auditrices et d’auditeurs…

Ah ! nous vivons sous une façon de République qui prouve que les mots les plus sublimes deviennent de vains titres qui s’étalent aux regards, quand dans les sociétés les principes qu’ils représentent ne sont pas intégralement appliqués. Une République qui maintiendra les femmes dans une condition d’infériorité ne pourra pas faire les hommes égaux. Avant que vous, hommes, vous conquerriez le droit de vous élever jusqu’à vos maîtres1, il vous est imposé le devoir d’élever vos esclaves, les femmes, jusqu’à vous.
Beaucoup n’ont jamais réfléchi à cela. Aussi bien, si dans cette imposante assemblée, je posais cette question : Êtes-vous partisans de l’égalité humaine ? Tous me répondraient : Oui. Car ils entendent en grande majorité, par égalité humaine, l’égalité des hommes entre eux. Mais si je changeais de thème, si pressant les deux termes — homme et femme — sous lesquels l’humanité se manifeste, je vous disais : Êtes-vous partisans de l’égalité de l’homme et de la femme ? Beaucoup me répondraient : Non. Alors que parlez-vous d’égalité, vous qui étant vous-mêmes sous le joug2, voulez garder des êtres au-dessous de vous. Que vous plaignez-vous des classes dirigeantes, puisque vous faites, vous dirigés, la même œuvre à l’égard des femmes que les classes dirigeantes ?
[…] On trouve bon de faire des recherches scientifiques sur tout. Chaque jour, on découvre aux animaux et aux végétaux des qualités nouvelles. On multiplie les expériences tendant à tirer des bêtes tout l’utile, des plantes tout le salutaire3. Mais jamais encore on n’a songé à mettre la femme dans une situation identique à celle de l’homme, de façon à ce qu’elle puisse se mesurer avec lui et prouver l’équivalence de ses facultés.
[…] Jamais on n’a essayé d’expérimenter avec impartialité la valeur de la femme et de l’homme. Jamais on n’a essayé de prendre un nombre déterminé d’enfants des deux sexes, de les soumettre à la même méthode d’éducation, aux mêmes conditions d’existence. […] Qu’on renverse les conditions, […] qu’on mette les garçons de 12 à 16 ans à la cuisine, à la couture et qu’on laisse les jeunes filles dans les écoles industrielles ; qu’on les fasse entrer en possession de tous les droits qui ont été jusqu’ici le lot exclusif des hommes ; qu’on enserre les jeunes gens dans l’étiquette et les préjugés à l’aide desquels on a garrotté4 les femmes ; bientôt les rapports entre la valeur des deux sexes seront totalement renversés.
Vous ne voulez pas faire cette expérience ? Savez-vous bien alors que vous nous permettez de croire, à nous femmes, que vous avez moins le doute que la crainte de notre égalité. En continuant à nous laisser dans une vie atrophiante, vous imitez, vous hommes civilisés, les barbares, possesseurs d’esclaves, qui exploitent avec grand profit la prétendue infériorité de leurs semblables.
[…]
Sachez-le, citoyens, ce n’est que sur l’égalité de tous les êtres que vous pouvez vous appuyer pour être fondés à réclamer votre avènement à la liberté. Si vous n’asseyez pas vos revendications sur la justice et le droit naturel, si vous, prolétaires5, vous voulez aussi conserver des privilèges, les privilèges de sexe, je vous le demande, quelle autorité avez-vous pour protester contre les privilèges des classes ? Que pouvez-vous reprocher aux gouvernants qui vous dominent, qui vous exploitent, si vous êtes partisans de laisser subsister dans l’espèce humaine des catégories de supérieurs et d’inférieurs ?
[…]
Finissez-en avec ces questions d’orgueil et d’égoïsme. Le droit de la femme ne vous ôte pas votre droit. Mettez donc franchement le droit […] à la place de l’autorité : car, si, en vertu de l’autorité, l’homme opprime la femme, par le fait de cette même autorité, l’homme opprime l’homme.
J’ai parlé pour le plus grand nombre. Je m’adresse maintenant à ceux qui se déclarent partisans de l’égalité de l’homme et de la femme, mais dont le mot d’ordre est Chut !… Ne perdons pas notre temps à nous occuper de ce détail. Un détail ! l’exploitation d’une moitié de l’humanité par l’autre moitié ! […]
Il y a trop longtemps qu’on fait espérer aux femmes une condition sociale égale à celle de l’homme. Quand en 1789 Olympe de Gouges présenta aux États-généraux au nom des femmes, son cahier de doléances et de réclamations, il lui fut répondu qu’il était inutile d’examiner la condition de la femme, attendu qu’un changement complet devant se faire dans la société, les femmes seraient affranchies6 comme l’homme.
La Révolution éclate : On proclame les droits de l’homme ; les femmes restent serves7. Ces femmes qui avaient travaillé à la Révolution croyaient naïvement avoir conquis leur part de liberté. Quand elles se virent tenues à l’écart de tout, elles réclamèrent. Alors, elles furent ridiculisées, bafouées, insultées […]. Et, en même temps que ces révolutionnaires autocrates8 décrétaient l’inégalité de la femme, ils faisaient entendre jusqu’au bout du monde les mots sonores d’Égalité, de Liberté !

Hubertine Auclert, « Discours prononcé au Congrès ouvrier socialiste de Marseille », 1879.

Nombre de mots : 800

NOTES

1. Les « maîres » désignent ici les bourgeois.
2. « être sous le joug » : être soumis, être dans l’asservissement moral ou social.
3. « tout le salutaire » : tous les bienfaits.
4. « garrotter » : au sens figuré, « Mettre dans l’impossibilité d’agir librement, priver de toute liberté d’action » (CNRTL)
5. « prolétaire » : travailleur appartenant au prolétariat, c’est-à-dire à la classe ouvrière.
6. « affranchies » : libérées.
7. « serves » : soumises.
8. « autocrate » : dont l’autorité est comparable à celle d’un monarque absolu.

 Activités d’écriture [Cliquez ici pour voir les corrigés]

1) Contraction

Vous résumerez ce texte en 200 mots. Une tolérance de +/– 10 % est admise : votre travail comptera au moins 180 mots et au plus 220 mots. Vous placerez un repère oblique (/) dans votre travail tous les 50 mots et indiquerez, à la fin de votre contraction, le nombre total de mots utilisés.

2) Essai

Hubertine Auclert écrit : « ce n’est que sur l’égalité de tous les êtres que vous pouvez vous appuyer pour être fondés à réclamer votre avènement à la liberté. » En quoi l’égalité de tous les êtres est-elle une juste condition d’accès à la liberté ? Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre du parcours : « Ecrire et combattre pour l’égalité ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

Un Automne en Poésie… Saison 13… Aujourd’hui le poème d’Elsa C.

Déclarations
6 décembre 2023 – 30 décembre 2023

maquette graphique : Bruno Rigolt, © novembre 2023

Déclarations…

Il existe beaucoup de manières de déclarer : déclaration de revenus, déclarations d’intention, déclarations d’amour, Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948, Déclaration des Droits de l’enfant du 20 novembre 1959, déclarations d’amitié… On peut déclarer sa flamme ou déclarer la guerre…

Considérant que la poésie est l’une des formes les plus anciennes et les plus belles de proclamer les droits humains, de partager des émotions, d’affirmer la nécessité d’une universalité à contruire, les élèves de 1ère STMG4 ont choisi à travers cette treizième édition de déclarer leurs émotions, de dire leurs rêves, leurs espoirs, leurs effrois… Au « rien à déclarer », au vide de sens, ils opposent le « tout à déclarer », et reconnaisent à la poésie la capacité d’émouvoir par le langage pour transformer le monde…

Plusieurs textes seront publiés chaque semaine, dans l’Espace Pédagogique Contributif
jusqu’au 30 décembre 2023.

Découvrez aujourd’hui le poème d’Elsa C. (Classe de 1ère STMG4)
Prochaine publication, mercredi 20 décembre : Chloé J.

  

Ce rêve, c’est la paix

par Elsa C.
Classe de Première STMG4

 

Je voudrais prendre la mer dans tes bras
Avec comme seule doctrine la paix.
Cette idylle dans tes yeux je m’y vois
Je regarde le vent,
Ce mistral qui répète inlassablement :
« Les hommes et les femmes naissent libres et égaux en droits
Sous les lumières d’une même étoile,
Sans distinction sociale ».

Je voudrais prendre la mer dans tes bras
Faisant bagages pour ce jardin
Celui où les hommes et les femmes
Naissent et demeurent égaux en droit.
Je voudrais balayer les souvenir d’un monde obscur
Qui me laisse m’étouffer de douleur
Sous le ciel silencieux face à la guerre,
Une cité dont personne ne revient.

Je voudrais prendre la mer dans tes bras
En mémoire de ce même vin qui coule dans nos veines.
La mer, comme des centaines de perles
Guidées par ce même mistral.
Comme un chant qui ne cesse de me porter,
Comme un tournoi d’oiseaux,
Sous les lumières d’une même étoile,
Sans distinction sociale.

Je voudrais prendre la mer dans tes bras
La mer, miroir de la richesse de ton âme,
La mer, aussi bleue que la paix, aussi bleue que le vent.
Je regarde notre insignifiante existence
Guidée par des désirs de liberté incandescente
Je voudrais dans tes yeux pouvoir poser mon cœur
Ecorché par la guerre. C’est un rêve vers lequel je cours essoufflée
Par mes désirs, par mes larmes

Ce rêve c’est la paix.

« Je voudrais prendre la mer dans tes bras
Avec comme seule doctrine la paix…
 »

Illustration : © décembre 2023, BR (Peinture numérique, certaines parties d’image ont été générées par IA)

Un Automne en Poésie… Saison 13… Aujourd’hui le poème de Clara D.

Déclarations
6 décembre 2023 – 30 décembre 2023

maquette graphique : Bruno Rigolt, © novembre 2023

Déclarations…

Il existe beaucoup de manières de déclarer : déclaration des revenus, déclarations d’intention, déclarations d’amour, Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948, Déclaration des Droits de l’enfant du 20 novembre 1959, déclarations d’amitié… On peut déclarer sa flamme ou déclarer la guerre…

Considérant que la poésie est l’une des formes les plus anciennes et les plus belles de proclamer les droits humains, de partager des émotions, d’affirmer la nécessité d’une universalité à contruire, les élèves de 1ère STMG4 ont choisi à travers cette treizième édition de déclarer leurs émotions, de dire leurs rêves, leurs espoirs, leurs effrois… Au « rien à déclarer », au vide de sens, ils opposent le « tout à déclarer », et reconnaisent à la poésie la capacité d’émouvoir par le langage pour transformer le monde…

Plusieurs textes seront publiés chaque semaine, dans l’Espace Pédagogique Contributif
jusqu’au 30 décembre 2023.

Découvrez aujourd’hui le poème de Clara D. (Classe de 1ère STMG4)
Prochaine publication, lundi 18 décembre : Elsa C.

  

Passé désassemblé

par Clara D.
Classe de Première STMG4

 

Quand j’pense à ces gens qui m’ont rabaissée
À comment j’aurais dû me relever pour
Peut-être faire face et m’y opposer
Dans le ciel noirci de mes regrets
J’ai mordu la poussière avec mes mots :
Résilience, vulgarité et vérité

J’étais sous cette pression qui m’empêchait d’avancer
Face blême, en détention
Dans la prison de mes années
Et au final j’me dis que le monde m’a quand même bien bais…
J’ai trébuché sur des étoiles
À chaque interaction j’étais en stress

Sur les murs je taguais ma détresse
Face à la méchanceté des hommes qui me poignardaient
Ça sortait du feuillage de mes tresses
Des « T’as pas de droits », mais j’ai crié : « Résilience, vulgarité et vérité »
Je suffoquais dans l’obscurité de mes paroles
Je tremblais face à la société et ses rôles

J’avoue : c’que j’dis c’est violent vu sous cet angle droit
Mais n’oublie pas : c’est pas incohérent
C’est infini comme chaque grain de sable du monde
C’est la force de mes mots qui te choque ?
Ou les vulgarités qui font « toc » dans ton esprit ?
J’dis ce que j’ai sur le cœur

C’est enfoui dans la prison de mes années
Des rêves sortent de mon cœur
Et mes larmes viennent s’échouer sur les trottoirs du soir
J’cache mes pleurs et mes putains d’crises
Dans le fond de mes poches :
C’est ici que commencent les revendications, les manifestations, les révolutions.

« Sur les murs je taguais ma détresse
Face à la méchanceté des hommes qui me poignardaient…
 »

Illustration : BR, 2023 (dans le style de Banksy)

Un Automne en Poésie… Saison 13… Aujourd’hui le poème de Yanis, Muslum et Youssef

Déclarations
6 décembre 2023 – 28 décembre 2023

maquette graphique : Bruno Rigolt, © novembre 2023

Déclarations…

Il existe beaucoup de manières de déclarer : déclaration des revenus, déclarations d’intention, déclarations d’amour, Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948, Déclaration des Droits de l’enfant du 20 novembre 1959, déclarations d’amitié… On peut déclarer sa flamme ou déclarer la guerre…

Considérant que la poésie est l’une des formes les plus anciennes et les plus belles de proclamer les droits humains, de partager des émotions, d’affirmer la nécessité d’une universalité à contruire, les élèves de 1ère STMG4 ont choisi à travers cette treizième édition de déclarer leurs émotions, de dire leurs rêves, leurs espoirs, leurs effrois… Au « rien à déclarer », au vide de sens, ils opposent le « tout à déclarer », et reconnaisent à la poésie la capacité d’émouvoir par le langage pour transformer le monde…

Plusieurs textes seront publiés chaque semaine, dans l’Espace Pédagogique Contributif
jusqu’au 30 décembre 2023.

Découvrez aujourd’hui le poème de Yanis E. A., Muslum A. et Youssef T. (Classe de 1ère STMG4)
Prochaine publication, vendredi 15 décembre : Clara D.

  

Mais quand va s’arrêter la guerre ?

par Yanis E. A., Muslum A. et Youssef T.
Classe de Première STMG4

 

Peuples en souffrance
Des larmes dans les yeux des enfants
Des armes braquées sur les populations
Peuples sans défense qui tombent comme le soir
Des multitudes qui pleuvent.

Des vies en extinction, la guerre en extension
Des bombardements à foison jusqu’au fond des abris
Jusqu’au fond des maisons
Sous la lumière de la guerre
Jusqu’au fond des rêves.

Une population en panique constamment
Des centaines de victimes en long vêtements de deuil
Les oiseaux là-bas ont dispersé leurs cendres avec le vent
Des cris et des explosions qui résonnent dans ma tête
Mais quand va s’arrêter la guerre ?

« Des vies en extinction, la guerre en extension
Des bombardements à foison jusqu’au fond des abris
Jusqu’au fond des maisons…
 »

Illustration : © décembre 2023, Bruno Rigolt (photomontage, peinture numérique)

Un Automne en Poésie… Saison 13… Aujourd’hui le poème de Dieynaba S., Emilie Q. et Lucille M.

Déclarations
6 décembre 2023 – 30 décembre 2023

maquette graphique : Bruno Rigolt, © novembre 2023

Déclarations…

Il existe beaucoup de manières de déclarer : déclaration des revenus, déclarations d’intention, déclarations d’amour, Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948, Déclaration des Droits de l’enfant du 20 novembre 1959, déclarations d’amitié… On peut déclarer sa flamme ou déclarer la guerre…

Considérant que la poésie est l’une des formes les plus anciennes et les plus belles de proclamer les droits humains, de partager des émotions, d’affirmer la nécessité d’une universalité à contruire, les élèves de 1ère STMG4 ont choisi à travers cette treizième édition de déclarer leurs émotions, de dire leurs rêves, leurs espoirs, leurs effrois… Au « rien à déclarer », au vide de sens, ils opposent le « tout à déclarer », et reconnaisent à la poésie la capacité d’émouvoir par le langage pour transformer le monde…

Plusieurs textes seront publiés chaque semaine, dans l’Espace Pédagogique Contributif
jusqu’au 30 décembre 2023.

Découvrez aujourd’hui le poème de Dieynaba S., Emilie Q. et Lucille M. (Classe de 1ère STMG4)
Prochaine publication, lundi 11 décembre : Yanis, Muslum et Youssef

  

Souffle de vie

par Dieynaba S., Emilie Q. et Lucille M.
Classe de Première STMG4

 

Les ombres naissent et demeurent libres et égales à la mémoire du monde
Là-bas, les vents d’automne résonnent
La géographie m’oriente sur le monde
Là-bas, les colombes d’hiver fredonnent
Une chanson d’enfants tombés dans le soir.

Les bombes naissent et demeurent libres et égales à la terreur du monde
Là-bas, les guerres s’élèvent au loin
Le destin est vide comme les larmes
Mon cœur est froid comme un vent d’hiver
Mes sentiments brûlent comme les flammes d’un feu ardent

Les blessures naissent et demeurent libres et égales aux douleurs du monde
Même nos sourires ont l’air malheureux
La réalité est un beau mensonge
La vérité est une souffrance à accepter
Une lueur d’espoir m’éclaire comme une étoile

Les vagues naissent et demeurent libres et égales à la beauté du monde
La mer est un long poème
La mer est grise comme un jour de pluie
Le soleil rend la mer étincelante
Une bougie peut illuminer la nuit

« Les ombres naissent et demeurent libres et égales à la mémoire du monde
Là-bas, les vents d’automne résonnent
La géographie m’oriente sur le monde…
 »

Illustration : © 2023, BR (Peinture numérique. Le visage et certaines parties de l’image ont été générés par IA)

Un Automne en Poésie… Saison 13… Aujourd’hui le poème de Jessica D. S.

Déclarations
6 décembre 2023 – 30 décembre 2023

maquette graphique : Bruno Rigolt, © novembre 2023

Déclarations…

Il existe beaucoup de manières de déclarer : déclaration des revenus, déclarations d’intention, déclarations d’amour, Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948, Déclaration des Droits de l’enfant du 20 novembre 1959, déclarations d’amitié… On peut déclarer sa flamme ou déclarer la guerre…

Considérant que la poésie est l’une des formes les plus anciennes et les plus belles de proclamer les droits humains, de partager des émotions, d’affirmer la nécessité d’une universalité à contruire, les élèves de 1ère STMG4 ont choisi à travers cette treizième édition de déclarer leurs émotions, de dire leurs rêves, leurs espoirs, leurs effrois… Au « rien à déclarer », au vide de sens, ils opposent le « tout à déclarer », et reconnaisent à la poésie la capacité d’émouvoir par le langage pour transformer le monde…

Plusieurs textes seront publiés chaque semaine, dans l’Espace Pédagogique Contributif
jusqu’au 30 décembre 2023.

Découvrez aujourd’hui le poème de Jessica D. S. (Classe de 1ère STMG4)
Prochaine publication, vendredi 8 décembre : Dieynaba, Emilie et Lucille.

  

Sous le ciel d’azur, le Portugal s’éveille

par Jessica D. A.
Classe de Première STMG4

 

Je ne désire plus que le Portugal
Sous ton soleil tout s’épanouit, sous ta face profonde
Je m’allonge dans un rêve
Sous tes plages dorées, l’Atlantique applaudit.

Je lève mon regard au ciel et voici que Lisbonne se dévoile
Avec une grâce infinie,
Ses ruelles pavées chantent une mélodie de mer et de vent
Qui emporte mon âme dans le soir.

Ô Portugal, pays d’histoire et de culture
Qui jamais ne me lasse,
Je prends la mer dans tes bras
Je revois les collines de l’Algarve, les oliviers en cascade

Et le vin de Porto, doux nectar sur nos lèvres,
Coule dans mon verre en multitude d’étoiles
Comme des battements de larmes.
Ô Portugal, tu es un trésor, un pays que l’on rêve.

Sous le ciel d’azur, le Portugal s’éveille,
Estrela scintillante, douce merveille.
Sur ses plages dorées, l’Atlantique s’étend,
La saudade murmure, un écho émouvant.

Dans les ruelles de Lisbonne, une danse légère,
L’Estrela veille, témoin solennel de la mer.
Le fado, mélancolie aux doux accents,
Traverse les collines, s’épanche en sentiments…

« Sous le ciel d’azur, le Portugal s’éveille,
Estrela scintillante, douce merveille…
 »

Illustration : Lisbonne en été, un soir.
© 2023, BR (photographie modifiée umériquement)

Un Automne en Poésie revient bientôt !

Bientôt… “Un Automne en Poésie”
Saison 13

Les élèves de 1ère STMG4 du Lycée en Forêt (Montargis) sont fiers de vous annoncer l’édition 2023-2024 d’ “Un Automne en Poésie”, manifestation d’art qui entend marquer de son empreinte la création littéraire lycéenne.

Près de 20 textes, tous inédits, seront publiés pour cette treizième édition intitulée :
Déclarations »

Lancement de l’exposition : mercredi 6 décembre 2023

“Déclarations”. Maquette graphique : Bruno Rigolt, © novembre 2023

 

Sujet + propositions de corrigé EAF séries technologiques 2023 Centres Etrangers Groupe 1 Contraction + essai : Olympe de Gouges

Sujet et corrigés Baccalauréat technologique [juin 2023 Centres Etrangers Groupe 1]

Œuvre : Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (du « préambule » au « postambule »). Parcours : écrire et combattre pour l’égalité.

Contraction : Vous ferez la contraction de ce texte en 195 mots. Une tolérance de plus ou moins 10% est admise : les limites sont donc fixées à au moins 175 mots et au plus 215 mots. Vous placerez un repère dans votre travail tous les 50 mots et vous indiquerez à la fin de la contraction le nombre de mots qu’elle comporte.

Essai : « Une chambre à soi, c’est aussi une fenêtre vers l’ailleurs », écrit Lucie Azéma. A-t-on besoin d’intimité et de solitude pour s’engager dans un combat pour l’égalité ?
Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (du « préambule » au « postambule ») d’Olympe de Gouges, sur le texte de l’exercice de la contraction (texte de Lucie Azéma) et sur ceux que vous avez étudiés dans l’année dans le cadre de l’objet d’étude « La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

Texte : Lucie Azéma, Les femmes aussi sont du voyage, 2021.

___J’aime l’imprévisible du voyage, le frisson du dépaysement, l’adrénaline qui nous envahit lorsque l’on se plonge dans des environnements dont on ne maîtrise ni la langue, ni la culture, ni le climat. Ou, du moins, j’aime les aimer, parce qu’ils font écho aux livres d’aventures que j’ai dévorés, aux rêves que j’ai nourris en parcourant de longues distances sur les mappemondes à l’aide de mon simple index. En réalité, par bien des aspects, je ne suis pas une voyageuse. La traversée me semble moins séduisante que l’amarrage1, j’aime les arrivées beaucoup plus que les départs. Je cherche le temps long, sa densité, sa profondeur – la complexité du réel, celle qui n’est accessible que si l’on reste. Le voyage exige de s’attarder, de prendre refuge : s’acclimater, apprendre la langue, s’entourer de fenêtres pour mieux les traverser – et ainsi accéder à une chambre à soi.

___Le fait que les femmes aient traditionnellement été cantonnées à la sphère privée ne signifie pas qu’elles aient eu accès à une intimité – ni à elles-mêmes. Les interruptions constantes, liées aux obligations domestiques qui leur incombent, ainsi que leur dépendance financière, organisée par l’assignation2 à un travail non rémunéré, ont longtemps empêché l’esprit de liberté, d’invention et de créativité des femmes de se déployer. En 1929, Virginia Woolf3 livrait au monde la phrase qui deviendra la plus célèbre de toute son œuvre : « Il est indispensable qu’une femme possède quelque argent et une chambre à soi si elle veut écrire une œuvre de fiction ». L’écrivaine soulignait ainsi l’absolue nécessité pour les femmes d’accéder à une certaine intimité, matérialisée par une pièce « dont la porte est pourvue d’une serrure » et à la liberté d’esprit, rendue possible grâce à un minimum d’argent personnel.

___Accéder à une chambre à soi permet d’appréhender l’intérieur, non plus comme le lieu de l’aliénation4 des femmes, mais comme celui où elles peuvent s’atteindre. Un espace dans lequel elles aménagent une oasis de solitude consentie, retranchée du monde, où elles peuvent écrire, lire, dormir ; un lieu qui donne sa place au silence, leur permettant de se dérober temporairement au monde extérieur pour mieux l’assimiler. La chambre à soi est celle qui se referme sur l’imagination et la rêverie, sur ce que Gaston Bachelard appelle « l’immensité de l’intime ». Grâce au voyage et à la solitude qu’il offre, les femmes se réapproprient non seulement le dehors, mais aussi le dedans, car il crée un aller-retour de l’un vers l’autre, et lie ces deux espaces jusqu’à les confondre et n’en former plus qu’un : le territoire intime de la voyageuse.

___Le monde est peuplé de chambres à soi : elles éclosent5 à la vue quand le train ralentit ou lorsque l’avion se met à descendre lentement. Elles sont là, fourmillantes, comme autant de petits points lumineux qui forment la constellation de nos intimités – maisons temporaires, alvéoles6 propices à laisser le temps se dilater et à vider des tasses de thé jusque tard dans la nuit. En voyage, la chambre à soi peut prendre la forme d’une auberge, d’une guest house, d’un ryokan japonais, d’une yourte kirghize, d’un bungalow dans la jungle, d’un caravansérail, d’un hôtel capsule, d’une cabine de bateau ou de train, etc. Certaines voyageuses se contentent de peu, d’une chambre vétuste7 et de quelques éléments qui leur suffisent à créer un sentiment d’appartenance au lieu : « Assez de lumière pour écrire, un feu, une couverture en peau de mouton, du raki8 – on n’a besoin de rien de plus ni de moins » écrit Schwarzenbach alors qu’elle séjourne à Konya, en Turquie. D’autres, au contraire, voient les choses en grand, comme Anne Brassey, qui, au XIXe siècle, transforma sa cabine de bateau en une véritable demeure flottante, ou bien à la manière d’Alexine Tinné, qui installait des campements gigantesques à chacune de ses étapes, et faisait transporter par ses domestiques une bibliothèque entière, un service à thé en porcelaine de Chine qu’elle aimait remplir de lait, un chevalet et des couleurs pour peindre.

___Si chaque voyageuse a ses préférences concernant la chambre qui va lui servir de port d’attache, toutes ont en commun d’avoir consacré plusieurs pages à décrire le bonheur d’accéder à une chambre à soi à l’autre bout du monde. « Logé partout mais enfermé nulle part, telle est la devise du rêveur de demeures », écrit Bachelard. […] Une chambre à soi,
c’est aussi une fenêtre vers l’ailleurs.
(778 mots)

1. Amarrage : fait d’attacher un bateau à un quai ou une rive.
2.
Assignation : ici, obligation de faire quelque chose.
3. Virginia Woolf : écrivaine britannique ; Gaston Bachelard, philosophe français ; Annemarie Schwarzenbach, écrivaine et aventurière suisse ; Annie Brassey, écrivaine et voyageuse anglaise ; Alexine Tinné, photographe et exploratrice néerlandaise.
4. Aliénation : ici, privation de liberté.
5. Éclosent : font leur apparition.
6. Alvéoles : ici, recoins, refuges.
7. Vétuste : qui est usée par le temps, qui n’est plus en bon état.
8. Raki : boisson consommée au Proche-Orient.

Corrigé de la contraction : mise en ligne dans les prochains jours.

Corrigé de l’essai

ESSAI : RAPPEL DU SUJET

 « Une chambre à soi, c’est aussi une fenêtre vers l’ailleurs », écrit Lucie Azéma. A-t-on besoin d’intimité et de solitude pour s’engager dans un combat pour l’égalité ?

Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (du « préambule » au « postambule ») d’Olympe de Gouges, sur le texte de l’exercice de la contraction (texte de Lucie Azéma) et sur ceux que vous avez étudiés dans l’année dans le cadre de l’objet d’étude « La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

 

___Dans Les Femmes sont aussi du voyage, essai publié en 2021, Lucie Azema dénonce la vision masculine de l’aventure : selon elle, le voyage est l’un des moyens les plus symboliques pour que les femmes s’affranchissent de leur condition. À ce titre, elle affirme : « Une chambre à soi, c’est aussi une fenêtre vers l’ailleurs ». De tels propos interrogent : a-t-on besoin d’intimité et de solitude pour s’engager dans un combat pour l’égalité ? Si, comme nous le verrons dans une première partie, la revendication de l’intimité est une condition essentielle dans le combat pour l’égalité, nous montrerons cependant en quoi écrire et combattre pour l’égalité nécessite l’engagement collectif.

___L’intimité et la solitude peuvent jouer un rôle important lorsque l’on s’engage dans un combat pour l’égalité.
___Tout d’abord, s’approprier un lieu pour soi, comme un territoire de liberté et d’autonomie, permet de prendre du recul, de réfléchir et d’explorer ses propres convictions et valeurs. Le repli sur soi correspondrait ainsi à une quête d’authenticité amenant à mieux comprendre les injustices et les inégalités. Dans Une chambre à soi, essai féministe écrit par Virginia Woolf en 1929, l’autrice insiste sur la nécessité pour les femmes d’avoir un espace personnel et une indépendance économique afin de pouvoir développer leur pensée et leur créativité face aux hommes. Woolf soutient que les femmes ont été historiquement exclues des opportunités et des ressources nécessaires pour se consacrer pleinement à l’écriture ou à d’autres formes d’expression artistique. Comme le rappelle l’autrice, « Il est indispensable qu’une femme possède quelque argent et une chambre à soi si elle veut écrire une œuvre de fiction ». De tels propos mettent en évidence l’importance d’avoir un espace physique et psychologique où les femmes peuvent se retirer du monde extérieur et se concentrer sur leurs propres pensées et expériences.
___En outre, l’intimité et la solitude sont parfois nécessaires : combien de révoltés ont fait l’expérience de la solitude, et fait de cette solitude la source de leur combat ! Qu’elle soit subie ou volontaire, douloureuse ou sereine, la solitude permet l’affirmation du moi : Nelson Mandela est l’un des exemples les plus emblématiques du combat pour l’égalité, notamment pendant sa période de détention. Pendant 27 ans, Mandela a été emprisonné en raison de son rôle de leader dans la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Pendant sa captivité, il a utilisé son temps de solitude pour réfléchir, étudier et développer sa vision de l’égalité et de la justice. La solitude de sa cellule lui a offert un espace pour approfondir ses idées, renforcer sa détermination et cultiver son leadership. Il a également pu communiquer avec d’autres prisonniers politiques et militants, partageant des idées et des stratégies pour lutter contre l’oppression et promouvoir l’égalité. Loin des regards du public, Mandela a ainsi continué à être un symbole de résistance et d’espoir pour la population sud-africaine, ainsi que pour les citoyens du monde entier. 
___L’expérience de la solitude prend donc une forte dimension politique : la conquête de la liberté naît alors d’un refus des règles sociales imposées. C’est ainsi qu’Olympe de Gouges, dans sa défense acharnée de l’égalité entre les hommes et les femmes et dans son désir de promouvoir une nouvelle forme, plus juste, de « contrat social », a été souvent amenée à faire de sa solitude une marque d’affranchissement et de prise de conscience identitaire. Toute son œuvre est en effet marquée du sceau de l’autonomie et de l’anticonformisme. Sa pièce de théâtre, Zamore et Mirza ou L’Heureux Naufrage, dont le propos est de dénoncer l’esclavage des Noirs n’a ainsi pratiquement jamais été représentée tant les propriétaires d’esclaves ont fait pression pour l’interdire. Seule contre tous, Olympe de Gouges a également dû s’opposer à nombre de révolutionnaires, notamment Robespierre et Marat, pour promouvoir ses idées féministes. La conquête de la liberté naît donc d’un refus des règles sociales. Mais à quel prix ? Ainsi, l’isolement est souvent un très grand risque et amène l’individu à se mettre en marge de la société.

___Nous pouvons donc comprendre que l’engagement dans un combat pour l’égalité ne saurait se limiter à l’intimité et à la solitude. L’action collective, la solidarité et la collaboration avec d’autres personnes sont tout aussi cruciales pour promouvoir de réels changements sociaux.

___L’action individuelle, comme nous venons de le voir, est souvent limitée dans ses moyens et son application. Le collectif au contraire permet une meilleure organisation des forces individuelles.
___En premier lieu, l’implication dans une cause collective permet de repenser la citoyenneté et les rapports de pouvoir. La nécessité du collectif parcourt à ce titre toute l’œuvre d’Olympe de Gouges. Femme d’engagement et de conviction, ses appels à l’union et à la solidarité des femmes sont essentiels. Dans sa Déclaration, Olympe de Gouges ne lutte pas seulement pour les droits des femmes : elle les appelle aussi à s’éduquer contre les préjugés et à s’émanciper collectivement du sort dans lequel elles sont maintenues, afin d’en arriver à une nouvelle société plus juste, inspirée de la philosophie des Lumières : la lutte pour ces droits ne peut aboutir que si les femmes prennent conscience de leur déplorable sort et s’emparent de ces revendications afin de s’affranchir de la tutelle masculine. C’est ainsi que le postambule de la Déclaration élargit la destination du texte à l’ensemble des femmes : « Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir ». Les hommes eux-mêmes sont appelés à évoluer et à ne plus être de « serviles adorateurs rampant à [leurs] pieds ». 

___Comme nous le comprenons, la lutte pour l’égalité réussit d’autant mieux que les gens sont unis afin de faire entendre leurs voix. Le mouvement MeToo en tant que manifestation internationale de solidarité et de prise de parole des femmes victimes d’agressions sexuelles ou de harcèlement a permis à cet égard un véritable élan universel. Lancé en 2017 en réaction aux révélations d’abus sexuels dans l’industrie du cinéma, il s’est rapidement répandu à travers le monde et a permis à de nombreuses femmes de partager leurs expériences et de dénoncer les comportements prédateurs. MeToo a eu ainsi un impact considérable en suscitant des débats sur le consentement, l’égalité des sexes et la culture du silence entourant les agressions sexuelles. En favorisant également de nouvelles formes de sociabilité politique, le mouvement a encouragé des changements profonds dans plusieurs secteurs comme l’industrie du divertissement, la politique, etc. Il a mis en évidence l’ampleur du problème et a ouvert la voie à des avancées essentielles sur les violences sexistes et la nécessité d’un changement culturel pour faire bouger les consciences et agir sur la vie publique.
___Si la lutte pour l’égalité prend davantage d’importance quand elle est menée de manière collective, c’est enfin parce que s’associer, collaborer à un processus collectif, c’est passer d’un engagement militant personnel au soutien d’intérêts communautaires. En ce sens, le collectif façonne le lien social : la lutte contre les inégalités implique des actions nombreuses de sensibilisation, de mobilisation… Autant de luttes qui passent par le collectif et la force du groupe. Nous pourrions mentionner l’exemple de l’actrice Emma Watson, ambassadrice de bonne volonté à l’ONU. Dans un discours intitulé : « l’égalité des sexes est aussi votre problème ! » prononcé le 20 septembre 2014 à l’ONU dans le cadre de la campagne « HeForShe », mouvement mondial des Nations Unies pour l’égalité des sexes, Emma Waton interpelle les hommes en ces termes : « Messieurs, j’aimerais profiter de cette opportunité pour vous inviter formellement. L’égalité des sexes est aussi votre problème ». Comprenons qu’écrire et combattre pour l’égalité, plus qu’un engagement individuel, est surtout un engagement collectif. Par sa nature, l’humain est un être social : c’est en effet par le collectif qu’on peut transformer les normes sociétales et les stéréotypes qui perpétuent les inégalités, afin de promouvoir une société plus équitable et juste.

___Au terme de ce travail, il apparaît que le combat pour l’égalité nous engage à la fois individuellement et collectivement. Si la lutte pour l’égalité a pour fondement l’individualisme, elle place souvent l’individu en conflit avec la société comme le prouve le destin tragique d’Olympe de Gouges. Dans un autre registre, la série de films Hunger Games montre bien la difficulté du combat de Katniss Everdeen, la célèbre héroïne de la tétralogie : à la fois proche des masses populaires par ses origines sociales, elle est un moteur de l’action collective. Mais sa conduite transgressive, dominée par un individualisme exacerbé, rend bien souvent inefficace son action individuelle : même en voulant agir pour la communauté, elle apparaît souvent comme une rebelle fragile et solitaire. Cela montre bien qu’en travaillant ensemble, les personnes engagées dans la lutte collective pour l’égalité peuvent partager leurs expériences, renforcer leur voix, accroître leur influence et exercer une pression plus efficace sur les institutions et les décideurs. Cette solidarité est essentielle pour promouvoir un changement réel et durable vers plus d’égalité et de justice sociale.

© BR, juin 2023

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Entraînement à l’épreuve de Culture générale et expression du BTS. Sujet type : Imaginaires portuaires. CORRIGÉS

BTS 2023-2024 « Invitation au voyage… »
Entraînement n°2 : synthèse + écriture personnelle
→ CORRIGÉS

Pour accéder au corpus, cliquez ici.


① La synthèse

Plan proposé

I) Les ports industriels sont des lieux qui attirent
a) Ils inspirent la création artistique
b) Même les ports les moins attrayants sont fascinants
II) Les ports sont une invitation au voyage
a) Ce sont des espaces à la fois clos et ouverts
b) Ils donnent envie de s’évader et de tout quitter
III) Les ports invitent à un déchiffrement symbolique
a) Il y a une forte dimension spirituelle dans les ports
b) Port et ressourcement personnel : le voyage comme révélation à soi-même.


____Terres d’accueil ou lieux d’embarquement vers des destinations lointaines, les ports ont toujours suscité l’envie de voyager. Telle est l’inspiration de ce dossier composé de quatre documents parus entre la fin du XIXème siècle et nos jours.
____Le premier document est un tableau célèbre de Claude Monet intitulé « Impressions, soleil levant » (1872). Par son travail sur les couleurs et les effets de lumière, le peintre nous fait imaginer le port industriel du Havre, un matin d’hiver. Largement dominé par l’idéalisation du réel, le document 2 est un poème intitulé « Le port de Palerme » publié en 1913 par Anna de Noailles dans le recueil Les Vivants et les morts. Quant au document 3, il reprend de larges extraits d’un article de fond, « Le port, un seuil pour l’imaginaire : la perception des espaces portuaires » publié en 1992 dans le n°55-56 des Annales de la recherche urbaine. L’architecte Aude Mathé réfléchit en particulier aux interactions entre le port, la ville et la mer et la perception des espaces portuaires par les artistes. Le dernier document est extrait d’un récit de voyage intitulé Le Goût du large (2016). Le journaliste Nicolas Delesalle y relate son voyage d’Anvers à Istanbul à bord d’un cargo porte-conteneurs. Le passage présenté décrit les sensations éprouvées au moment où le navire quitte le port d’Anvers.
____Nous étudierons à travers ces documents la fascination qu’exercent les ports industriels : non seulement ce sont des lieux qui attirent et inspirent la création artistique, mais ils sont également une invitation au voyage. Nous terminerons notre étude en montrant que le port, tel qu’il est perçu par les auteurs de ce corpus, devient matière à déchiffrement symbolique.

____En premier lieu, il ressort de ce corpus que le thème du port, particulièrement à partir de la Révolution industrielle, a constitué une puissante source d’attraction, notamment chez les artistes.
____Comme le note Aude Mathé, la peinture et la poésie nous rendent sensibles à ce qui, d’ordinaire, nous laisse indifférents : de fait, tous les ports évoqués dans ce dossier sont des lieux industriels. Ainsi, la célèbre toile de Claude Monet, « Impression, soleil levant » nous décrit le paysage portuaire du Havre. Représentation artistique d’un monde bouleversé par la société industrielle, le tableau met l’accent sur la face laborieuse du Havre : les grues, les docks et les cheminées d’usines. Cette impression se retrouve également dans le poème d’Anna de Noailles : femme de la haute aristocratie, l’autrice s’attache pourtant à retranscrire l’atmosphère populaire et industrieuse du port de Palerme. Comme dans le tableau de Monet, ce parti-pris très réaliste et assez inhabituel en poésie s’oppose aux stéréotypes de l’art qui utilise généralement un cadre plus idyllique.
____De plus, même les ports les plus inhospitaliers deviennent attirants car ils font surgir une multitude d’émotions et de sentiments. Anna de Noailles se plaît à décrire le vieux port « goudronné » dans toute sa pauvreté : l’autrice évoque ainsi son attirance pour la « rade noire et sa pauvre marine ». De même, Nicolas Delesalle décrit son départ du port d’Anvers à bord d’un cargo, loin du confort des croisières : au contraire, le journaliste ancre sa description dans une topographie maritime et portuaire, comme pour mieux percevoir des sensations nouvelles : les nombreux effets de réel renforcent le sentiment de dépaysement qui assaille le journaliste. Comme le fait remarquer Aude Mathé, si les ports attirent tant, c’est qu’ils parlent aux sens et à l’imaginaire. Nous retrouvons tout à fait cette impression dans le poème d’Anna de Noailles ou dans le tableau de Claude Monet qui fait surgir, au-delà du ciel pollué par l’activité industrielle et par la marine marchande, un lieu qui semble sortir de la réalité : les lignes de fuite du tableau nous plongent en effet en pleine rêverie.

____Le deuxième aspect qui ressort de ce corpus est que les ports sont une invitation au voyage.
____Selon Aude Mathé, le port a la particularité d’être un lieu d’échange entre ville et mer, espace à la fois clos et ouvert sur l’infini, protecteur et propice au dépaysement. Selon l’autrice, c’est ce mélange de clôture et d’expansion qui fait toute la valeur symbolique du port. Le tableau de Monet illustre parfaitement cette analyse : le peintre a accentué la vue sur le bassin du port du Havre, mais en même temps par touches impressionnistes, il nous invite au dépaysement : toute la toile baigne en effet dans une douce harmonie où se mêlent le gris-bleuté, l’oranger, le rose pâle créant un monde apaisé, propice à l’évasion. Pareillement, si à première vue le poème d’Anna de Noailles est une sorte de carte postale pittoresque centrée sur les activités manufacturières et marchandes quotidiennes, progressivement, le texte nous invite vers un au-delà de la réalité concrète : le réalisme laisse place au thème du voyage. Il n’est guère étonnant également que tous les termes techniques qui jalonnent le récit de Nicolas Delesalle nous fassent progressivement basculer du côté du dépaysement et de l’ailleurs.
____Comme le montre très bien le dossier, la particularité du port, c’est qu’il est en soi déjà voyage : sorte de passeport pour le rêve, le port donne envie de tout quitter sans forcément bouger. Ce paradoxe est longuement analysé par Aude Mathé : selon elle, on peut s’évader en imagination rien qu’en regardant les activités portuaires ou en admirant les bateaux dont les noms évoquent des destinations lointaines. Cette impression se retrouve dans le poème d’Anna de Noailles qui se laisse aller à l’évocation des « vaisseaux délabrés » : c’est en effet à travers leur contemplation que commence l’évasion vers l’imaginaire. Le port apparaît ainsi comme une sorte de voyage immobile. Aude Mathé explique cette attirance des artistes par un besoin d’idéalisation du réel. Qu’il s’agisse du Havre, de Palerme ou d’Anvers, le réel cède sa place à un ailleurs virtuel et fantasmé, porteur de rêves et d’aventure : la description des bateaux, des bâtiments et des quais est comme une invitation au voyage selon un axe allant du concret à l’immatériel.

____Enfin, les ports industriels invitent à un voyage qui est surtout un voyage spirituel.
____Tout d’abord, ainsi que le remarque Aude Mathé à partir d’une citation de Joseph Conrad, le port témoigne d’une forte dimension symbolique qui apparaît comme une métaphore de la quête de la pureté. Prélude à une sorte de ressourcement spirituel, le voyage entrepris par Nicolas Delesalle apparaît ainsi comme une échappatoire au monde consumériste pour rechercher seulement « l’océan, le silence et le vent… l’horizon infini ». Pareillement, il ne faut pas regarder le tableau de Claude Monet comme une simple peinture d’un lieu industriel : toute l’organisation de la toile invite à la transfiguration du réel et l’idéalisation du banal. Cette impression est plus nette encore dans le poème d’Anna de Noailles où de simples citernes deviennent des « citernes du rêve » : par cet oxymore, l’autrice passe de la dimension réaliste à la dimension onirique, sorte d’alchimie poétique qui transfigure l’univers le plus matériel en univers spirituel.
____En outre, tous les textes mettent l’accent sur le voyage comme révélation à soi-même. Aude Mathé note le déchiffrement spirituel qui est à la base de la symbolique portuaire. De même, chez Anna de Noailles, le port invite à une forte dimension de ressourcement intime. Plus qu’un lieu, c’est un moment de départ et d’accomplissement « ineffable » permettant de goûter une plénitude intérieure. La description réaliste du port de Palerme, par une idéalisation et une allégorie du concret, s’est donc transformée peu à peu en un univers imaginaire, qui est celui du rêve, mais plus fondamentalement, en une quête existentielle. Nicolas Delesalle évoque également son besoin de renaissance à travers une expression frappante : « je vais bientôt naître à la mer », qui signifie tout à la fois le ressourcement spirituel et la célébration d’une quête du sens. La description du port s’élargit ainsi à la construction d’un paysage métaphysique qui doit amener à une nouvelle naissance grâce à la mer.

____Pour conclure, le corpus que nous avons synthétisé invite à interroger à travers la symbolique du port le sens du voyage dans le monde moderne. Entre réel, imaginaire et symbolique, les ports apparaissent bien comme des lieux de passage de l’espace urbain vers des horizons lointains. En définitive, comme le suggère Aude Mathé, le voyage imaginaire que l’on rêve en regardant les bateaux dans le port ne serait-il pas supérieur au voyage que l’on pourrait faire réellement ?

© Bruno Rigolt, février 2023.